En 1942, Camus publie Le Mythe de Sisyphe, un essai, et L’Étranger, un roman. Ce sont deux versions du même thème de l’absurde ; Camus parle de L’Étranger comme d’une mise en images de son essai. Sisyphe est un personnage de la mythologie grecque ; il est le fondateur de Corinthe ; pour des fautes, dont il existe plusieurs versions, il est condamné par les dieux à rouler éternellement, aux Enfers, un rocher sur une pente ; parvenu au sommet, le rocher descend la pente, et Sisyphe recommence sans fin. Camus y voit un symbole de l’absurde de la condition humaine.

Définition de l’absurde

L’homme est en quête de cohérence, de sens à donner à sa vie ; or, le milieu, le monde, dans lesquels il vit, ne donnent aucune réponse à cette demande. Il se trouve dans un univers dont il ne comprend ni le sens, ni le rôle qu’il y joue. L’absurde génère une tension permanente entre lui et le monde : « L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde ».

On comprend ainsi que le suicide soit défini par Camus comme posant la question philosophique par excellence : l’homme se heurtant à une question fondamentale pour laquelle il n’aura jamais de réponse, la vie vaut-elle ou non la peine d’être vécue ? Oui, répond Camus. Il refuse clairement le suicide : vivre, c’est accepter sa condition telle qu’elle est, c’est vivre avec l’absurde, plus, c’est faire vivre l’absurde.

L'origine du sentiment de l’absurde

Quatre expériences peuvent faire découvrir l’absurde. D’abord, la vie sociale impose une routine inepte : « Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, quatre heures de travail, repas, sommeil, et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme » ; en prendre conscience est salutaire, « Car tout commence par la conscience et rien ne vaut que par elle ». Ensuite, la découverte de la fuite linéaire du temps est aussi la découverte de sa propre finitude, et donc de sa mort inéluctable : « L’horreur vient en réalité du côté mathématique de l’événement ». En outre, l’homme est susceptible de s’apercevoir, un jour ou l’autre, que l’anthropomor­phisme qu’il prête à la nature est une illusion, et que cette nature lui est radicalement étrangère, « L’hostilité primitive du monde, à travers les millénaires, remonte vers nous ». Enfin, la vie de tous les jours montre que les autres, et surtout les proches, nous apparaissent eux aussi parfois tout à fait étrangers : « Ll est des jours où, sous le visage familier d’une femme, on retrouve comme une étrangère celle qu’on avait aimée il y a des mois ou des années ».

Le héros absurde

Camus analyse successivement trois héros de l’absurde. Le premier, Don Juan, se propose de conquérir les femmes sans se fixer de limites ; ce but est illusoire parce que la conquête de toutes les femmes est bien sûr hors de portée pour quiconque. Le deuxième, le conquérant, est une sorte de Don Juan qui élargit son désir de conquête à toute la réalité, et qui se heurte bien sûr aux mêmes limites humaines. Notons d’ailleurs que le Don Juan de Molière se compare à Alexandre qui rêve à d’autres mondes que la terre à conquérir. Le troisième, le comédien, joue des personnages qui sont cohérents, alors que sa vie réelle est privée de cette qualité : Camus explique ainsi la passion des hommes, la sienne en particulier, pour le théâtre.

« II faut imaginer Sisyphe heureux »

C’est sur cette formule que s’achève l’essai de Camus. L’absurde n’est donc pas un obstacle au bonheur de l’homme : « Le bonheur et l’absurde sont deux fils de la même terre ». Sisyphe n’est malheureux que s’il se définit comme une victime humiliée des dieux ; mais Sisyphe est aussi capable, par sa conscience, de refuser ce statut de victime, de nier les dieux, et d’assumer totalement sa vie telle qu’elle est : « Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient. Son rocher est sa chose. [...] Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers ».

 

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