Corneille (1606-1684) emprunte l'argument d'Horace (1640) à Tite-Live tout , mais saisit dans Horace l'occasion d'approfondir sa conception du héros tragique. Le héros cornélien quête à travers une suite d'épreuves l'occasion d'atteindre à la plus haute gloire. Ici, le conflit entre les sentiments de l'individu et les nécessités de l'honneur familial trouve son accomplissement et son dépassement dans le patriotisme d'Horace et le triomphe de la raison d'État. 

  1. Résumé d'Horace de Corneille

Rome et Albe sont en guerre. Sabine, Albaine et épouse du Romain Horace, et Camille, sœur de ce dernier et amante de Curiace, frère de Sabine, se désolent de cette situation déchirante.

Acte I

On annonce alors qu’un combat opposant trois champions dési­gnés par chaque ville viendra mettre un terme à la guerre 

Acte II

Horace et ses deux frères sont malheureusement choisis pour affronter Curiace et les deux siens. Camille tente de faire renon­cer Curiace à ce combat, tandis que Sabine souhaite mourir, mais le vieil Horace exhorte alors Horace et Curiace à ce combat, à se défaire de ces avis féminins et à combattre dignement.

Acte III

Le trouble que fait naître dans les deux armées un combat d’une telle nature pousse les chefs à s’en référer aux dieux. Mais ces derniers, interrogés lors d’un sacrifice, ne semblent pas vou­loir d’autres combattants. On apprend alors que Curiace et ses frères ont vaincu, et que Horace, le seul survivant, a pris la fuite.

Acte IV

Alors que le vieil Horace est décidé à tuer le lâche survivant, il apprend que cette fuite n’était en réalité qu’une ruse propre à surprendre les autres combattants : Horace est vainqueur et Rome sauvée. Mais Camille reproche à son frère la mort de son amant et maudit Rome d’une telle victoire. Horace, irrité par cette provocation, l’assassine.

Acte V

Face aux accusations de Valère, amoureux de Camille, le roi de Rome vient alors juger le crime d’Horace ; mais celui qui a sauvé sa patrie se trouve désormais au-dessus des lois. Il devra donc rester en vie pour continuer à défendre Rome.

 

  1. Analyse d'Horace 

Le meurtre fondateur

De la même manière que le meurtre de Rémus par Romulus fondait la naissance de Rome, le meurtre des Curiaces par les Horaces est fondateur du nouvel ordre romain. Ce crime est d’autant plus symbolique que les Curiaces sont les hérauts de la ville d’Albe, véritable mère de Rome. Comme le dit Camille en parlant de Rome :

Albe est ton origine : arrête et considère
Que tu portes le fer dans le sein de ta mère (v. 55-56).

Aussi les habitants des deux villes ont-ils noué de tels liens qu’il s’agit véritablement d’une guerre fratricide. Liés par des serments d’affection, les combattants réalisent alors le plus haut degré de la tragédie, qui dresse un proche contre un proche. De ce conflit tragique ne peut naître qu’un héros, celui qui aura repoussé les entraves du sentiment et de la pitié pour servir les valeurs glorieuses de la Cité, dans la plus pure tradition de la tra­gédie antique. C’est ainsi qu’Horace, en fondant une nouvelle fois Rome, sort lui-même transformé de ce combat : il est ce héros solitaire ayant sacrifié tout intérêt individuel à la cause publique. Le roi pardonnera donc le crime de Camille afin de masquer l’origine sanglante du nouvel ordre :

De pareils serviteurs sont les forces des rois,
Et de pareils aussi sont au-dessus des lois.
Qu’elles se taisent donc, que Rome dissimule
Ce que dès sa naissance elle vit en Romule (v. 1753-1756).

Si bien que le meurtre des Curiaces est fondateur d’un nouvel État, au même titre que ce meurtre marque la naissance d’un nouvel homme, investi d’une aura sacrée qui en fait véritable­ment un monstre, au sens où il s’est dépouillé par son acte de son humanité pour prendre place parmi les héros, à la fois terrifiants et fascinants. C’est pourquoi Horace souhaite mourir, afin de pré­server son nouvel héroïsme d'une inéluctable déchéance. Après un tel coup, fondateur d’une cité comme d’un héros, il devient diffi­cile de survivre à sa gloire.

► Le véritable combat

Alors que Curiace est déchiré entre son amour pour Camille et la nécessité de se battre, invoquant la cruauté du sort et avouant la pitié qu’il prend de lui-même, Horace parvient à faire le sacrifice de ses sentiments afin de servir la seule cause patrio­tique. Il transforme dès lors son malheur en ferment de sa valeur, et le combat contre Curiace est en cela inégal. La lutte contre Camille est alors la plus redoutable, car elle feint de croire son frère insensible, afin de détruire les fondements de sa valeur : sans sacrifice, Horace n’aurait été qu’un combattant prestigieux de plus. Elle hausse donc sa passion au rang de l’héroïsme en l’éprouvant jusqu’à la mort, puisque c’est elle qui, volontairement, défie son frère et provoque son acte meurtrier. Elle le pousse ainsi à la faute qui ternira sa gloire, puisque ce fratricide, même s’il peut être légitimé par la défense de Rome, n’en demeure pas moins aux yeux des hommes un scandale irréversible. Ce combat est important, car, loin de signifier, comme on a pu le dire, la séche­resse d’Horace, il témoigne justement du douloureux sacrifice qu’il opère sur lui-même. Vaincre sa sœur devient le moyen de dominer définitivement la part sensible en lui. L’héroïsme absolu auquel il aspire se conquiert à ce prix.