RÉSUMÉ DE GERMINAL

Étienne Lantier, machineur sans travail, arrive un matin sur le carreau de la mine de Montsou. Mais la crise sévit et la mine n’embauche pas. Pourtant Maheu, un chef d’équipe qui a perdu une de ses herscheuses, lui propose de pousser les berlines de charbon. Pressé par la faim, Etienne accepte. Tassé contre Catherine Maheu lors de la descente, il l’a prise pour un garçon. Au fond, il découvre l’enfer de la taille où Maheu et ses trois haveurs extraient le charbon à « col tordu ». Lors de la pause, le jeune homme est confronté à Chaval, un mineur vindicatif qui, le voyant sympathiser avec Catherine, prend possession de celle-ci par un baiser.

A la suite d’une inspection, l’équipe est mise à l’amende pour avoir négligé les boisages : payée au rendement, elle sacrifie la sécurité au nombre de berlines. Saisissant ce prétexte, l’ingénieur parle de réduire le prix de la berline et de payer le boisage à part. Remontés au jour, les mineurs ruminent leur révolte au cabaret de Rasseneur où s’installe Etienne.

Après le mariage de son fils Zacharie, Maheu propose au jeune homme de le loger. C’est alors qu’Etienne, devenu haveur, convainc Maheu de créer à Montsou une caisse de prévoyance. Lorsque la compagnie baisse les salaires, la grève est décidée.

L’argent de la caisse de prévoyance est bien vite épuisé, Maigrat, l’épicier, ne fait plus crédit, mais les mineurs, tiennent bon. Galvanisés par les rêves utopiques que leur prêche Etienne dans la forêt de Vandame, ils décident d’occuper les puits. Chaval, qui travaille désormais à Jean-Bart, un puits indépendant de la Compagnie, fait acclamer l’arrêt du travail dans sa fosse pour ne pas être en reste. Mais le lendemain, son patron, Deneulin, parvient à le retourner en le nommant porion*, et les ouvriers de Jean-Bart reprennent le travail. Ceux de Montsou, enragés d’avoir été trahis, coupent les câbles qui permettent la remontée des cages, et les jaunes, obligés de remonter par les échelles, sont enrôlés de force avec la foule des mineurs qui marchent sur Montsou. Etienne, gagné par une ivresse mauvaise, mène le saccage des fosses. Cependant, lorsque la foule s’en prend à l’hôtel de M. Hennebeau, il parvient à détourner sa colère contre Maigrat, qui se tue en tombant d’un toit et dont les femmes, furieuses d’avoir été si souvent ses proies sexuelles, émasculent le cadavre.

Dans le coron, la misère souffle : chez les Maheu, Alzire, la petite infirme, est morte à force de privations ; en vain, car le travail reprend et l’armée occupe la fosse pour protéger les mineurs belges auxquels a fait appel la Compagnie. Quand les femmes commencent à jeter des briques sur la troupe, celle-ci riposte, tuant Maheu et six de ses camarades. -

Domptés, les mineurs reprennent le travail en maudissant Etienne, auquel ils attribuent leurs malheurs, mais l’anarchiste Souvarine, méprisant leur résignation, sabote le cuvelage du puits pour détruire la mine. Lorsque Etienne et Catherine redescendent au Voreux, ils se retrouvent ainsi, prisonniers des galeries inondées avec Chaval. Après avoir tué son rival, Etienne possède enfin Catherine qui meurt dans ses bras. Quinze jours plus tard, les sauveteurs parviennent à dégager le jeune homme qui partira faire une carrière politique à Paris tandis que la Maheude redescend au fond.

I - LA LUTTE DU CAPITAL ET DU TRAVAIL DANS GERMINAL

De L’Assommoir à Germinal

L ‘Assommoir était le roman d’une production encore artisanale où l’ouvrier de métier négociait de gré à gré avec un patron individuel, claquant la porte quand celui-ci se mêlait de mettre une « cloche dans sa boutique ». Germinal décrit au contraire la lutte du Capital et du Travail au temps des sociétés anonymes. Incapables de mettre un visage sur leur adversaire, les ouvriers de Montsou voient la Régie se reculer « dans une contrée inaccessible et religieuse, où trônait le dieu inconnu, accroupi au fond de son tabernacle ».

Qu’on pense à ce que représentent aujourd’hui les marchés financiers et l’on comprendra le sentiment d’impuissance des mineurs de Montsou ! Deneulin, le petit patron dont la Régie veut absorber la fosse, et les Grégoire, les rentiers de la Piolaine, sont seuls à même de donner un semblant d’identité à cette abstraction capitaliste : ce dieu Moloch, exigeant des sacrifices humains, cache « [des] marquis et [des] ducs, [des] généraux et [des] ministres choisis parmi les actionnaires puissants et riches. »

La crise ou les leçons d’économie de Zola

« Dans leur amour exagéré de l’argent », ces messieurs ont décidé de faire payer la crise aux travailleurs. Tous les moyens sont bons pour réduire la masse salariale et augmenter les profits. D’abord le marchandage, cette vente aux enchères à l’envers où l’on force l’ouvrier « à manger l’ouvrier », où chaque chef d’équipe, pris dans la panique du chômage, en rabat sur ses concurrents: «Il fallut que Maheu [...] luttât contre un camarade ; à tour de rôle, ils retiraient chacun un centime de la berline. » Ensuite, le paiement des boisages à part, qui permet à la Compagnie d’éviter l’embauche d’une « armée de raccommodeurs », tout en faisant baisser le salaire des mineurs et leurs rendements. La Compagnie fait ainsi de substantielles économies et ajuste la production au niveau de la demande. Comme l’explique Souvarine, la Régie ne voit d’ailleurs pas la grève d’un mauvais œil tandis qu’elle écoulera ses stocks sans débourser un sou de salaire, les ouvriers épuiseront les maigres réserves de leur caisse de secours mutuel. L’inspection de Négrel est donc moins innocente qu’il n’y paraît, elle fait partie d’une stratégie machiavélique qui pousse les ouvriers à bout pour mieux les dompter.



II - MODÈLES NARRATIFS DE GERMINAL

Antagonismes sociaux et antithèses

Soucieux d’être lu par les mineurs eux-mêmes, Zola a veillé à la lisibilité de Germinal. L’antagonisme du Capital et du Travail est relayé par la structure même du roman, scandé par de grandes antithèses. Au lever des Maheu fait écho celui des rentiers de la Piolaine : les uns triment sans relâche, et leurs lits, occupés par roulement, n’ont pas le temps de refroidir; les autres dorment « avec passion » et s’enrichissent en dormant ; au maigre « briquet » et au vermicelle, répondent brioches ou vol-au-vent et l’intimité de la maison bourgeoise s’oppose à l’entassement et à la promiscuité du coron.

Le mélodrame

Ce jeu de contrastes va de pair avec la trame mélodramatique de l’intrigue amoureuse et avec les stéréotypes narratifs du feuilleton misérabiliste. Chaval, le traître, et Etienne, l’homme loyal, se disputent Catherine, la femme maltraitée, et un cortège de victimes innocentes assure la sympathie du lecteur aux charbonniers : le mineur Chicot, pris par un éboulement alors qu’il se dépêchait pour aller voir sa femme en couches ; le petit soldat très doux dont la vieille mère et la sœur l’attendent au pays ; Alzire, contrefaite mais parfaite petite ménagère morte de faim et de froid pour être allée glaner quelques morceaux de charbon sur les terrils...

La mine et le Minotaure

Mais, au-delà de la littérature populaire, au-delà de la figure familière de l’ogre des contes d’enfant, Zola convoque les images savantes de la mythologie. Jouant sur l’homophonie partielle de la mine et du Minotaure, il réactive d’abord le mythe grec du monstre mi-homme, mi-taureau qui exigeait en pâture les enfants d’Athènes : d’emblée, la fosse, « dressant sa cheminée comme une corne menaçante, semble avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là pour manger le monde » (Première partie, ch. 1). Etienne sera donc un nouveau Thésée voyageant dans un dédale d’escaliers et de couloirs obscurs (Première partie, ch. 3). Enfermé au cœur du labyrinthe avec Chaval, il devra tuer celui-ci avant de remonter au jour. Que Chaval soit lui-même une variante du Voreux, qui tous les jours avale «sa ration de chair humaine », ne fait aucun doute : forcé de «galoper» et de boire «comme les bêtes la gueule dans l’auge », il incarne parfaitement le monstre taurin enfermé par Dédale.

Des tourments de l’enfer à l’apocalypse

Les femmes qui vagabondent à travers les plaines et les terrils sont elles aussi inspirées de l’imaginaire antique en souvenir des Erinyes, les déesses vengeresses nées de la castration d’Ouranos, elles émasculent Maigrat et entraînent les mineurs dans un « galop de furies ». Mais le répertoire des représentations judéo-chrétiennes fait bon ménage avec le mythe antique dans Germinal. Flambant des flammes du Tartaret, qui évoque le Tartare antique, la « Sodome des entrailles de la terre » est parcourue de « lueurs errantes » où les mineurs superstitieux croient reconnaître « les âmes criminelles en train de grésiller dans la braise intérieure », et le « long serpent » d’un train de berlines met l’image familière du démon au cœur de cet enfer où agonisent les damnés de la terre.

Pourtant l’Apocalypse est proche : en prêchant les Evangiles du Travail dans la forêt de Vandame, Etienne le « nouvel apôtre », tel un Christ en gloire « blanc de lumière sous la lune », a réveillé Souvarine, l’ange exterminateur, le Dieu de colère qui détruit le Voreux. Que l’un des fils Maheu porte le nom de Zacharie, prophète de la libération des captifs, que les chevaux de la mine s’appellent Trompette et Bataille, n’est donc sans doute pas un hasard...



III - « LES TROUS DES BOUCHES NOIRES »

L’avènement de la parole

Cette référence aux Évangiles est fondamentale. Comme l’a montré Claude Duchet (Littérature n° 24, décembre 1976), Germinal raconte en effet l’avènement de la parole ouvrière. Pareils aux puits de mine, «les trous des bouches noires » mugissant La Marseillaise sont le symbole même de cette libération. Car la parole est l’apanage des riches : tandis que, chez les Grégoire, on tisse les fils sans fin de la conversation sur les petits riens de la vie, les mineurs sont voués au silence : devant l’annonce du nouveau tarif, ils s’en vont « sans un mot [.. .] comme si on leur avait cassé l’échine ».

C’est que la parole ouvrière tourne à vide : vide du lieu commun (« une bonne chope est une bonne chope »), vide du cancan qui, tel le furet des jeux d’enfant, fait le tour du coron, vide de la répétition qui fait acquiescer au discours de l’autre : « Monsieur a raison [.. .]. On n’est pas toujours dans la bonne route », répond la Maheude à Grégoire qui lui fait la morale pour lui refuser une pièce de cent sous.

L’arrivée d’Etienne arrache la parole ouvrière à cette aliénation: «Maintenant, chaque soir, chez les Maheu, on s’attardait une demi-heure, avant de monter se coucher. » La résignation de la race disparaît dans ces causeries et Maheu trouve le courage d’être le porte-parole de la délégation chez Hennebeau : « il s’écoutait avec surprise, comme si un étranger avait parlé en lui », écrit Zola. Cependant, cette parole aussi tourne court, car le destinataire du message, M. Hennebeau, se dérobe: «Je suis un salarié comme vous, je n’ai pas plus de volonté ici que le dernier de vos galibots.»

La bête démuselée

Mais, là où la parole échoue, il ne reste que le cri et la violence de la « bête démuselée ». Bien des métaphores ravalent le peuple des mineurs au niveau de l’animalité dans Germinal : la mine est d’abord une fourmilière d’« insectes humains, fouissant la roche », elle avale les ouvriers dans un «enfournement de bétail ». Animaux du sacrifice, les mineurs ont la « figure moutonnière » de la soumission et l’apparence placide du bovin : «le sein énorme» de la Maheude pend comme une mamelle de « vache puissante » et, avec son « mufle de poils grisâtres », la Levaque s’avachit. Mais il ne faut pas s’y tromper, le taureau sauvage sommeille sous le paisible ruminant: les mineurs de Montsou n’ont que «l’obéissance forcée et patiente des fauves en cage, les yeux sur le dompteur, prêts à lui manger la nuque, s’il tourne le dos ». Les museaux de «bons chiens » flairant la houille, allongés par la faim, se transforment en museaux de loups ; Jeanlin, avec son «masque de singe blafard », tue par une brutale poussée de l’instinct et Bonnemort étrangle Cécile faute de pouvoir parler: «Et, comme ce jour-là il avait perdu sa langue, il serrait les doigts, de son air de vieille bête infirme, en train de ruminer des souvenirs.

Germinal: le cri de justice des charbonniers

Faire entendre le cri de justice des charbonniers, donner sa voix à ceux que les coups de feu du Voreux avaient réduits au silence, tel était le désir de Zola. Le romancier, qui avait visité Anzin en pleine grève et qui n’avait pas oublié les violences de la Commune, voulait que le lecteur bourgeois ait un frisson de terreur « Hâtez-vous d’être justes, autrement voilà le péril », disait-il en substance aux nantis. L’image des semailles, empruntée aux Evangiles, sur laquelle se clôt le roman, ne leur laisse aucune illusion: «Des hommes poussaient, une armée noire, vengeresse, qui germait lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination allait faire bientôt éclater la terre. » Les mineurs n’oublieront pas le message généreux d’Emile Zola: scandé par une délégation de charbonniers, le cri de «Germinal » retentira longuement pendant ses obsèques...

 

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