SUJET DE DISSERTATION :

Rejetant le slogan des naturalistes ou réalistes « rien que la vérité, toute la vérité », Maupassant affirme que les « Réalistes de talent devraient s’appeler plutôt des Illusionnistes ». Comment cette affirmation s'applique-t-elle aux romans naturalistes que vous connaissez? 

PLAN DE LA DISSERTATION :

Les naturalistes ont voulu être les témoins sincères de la réalité. Jouant du paradoxe, Maupassant leur rappelle que le réalisme est un art de l’illusion.

I - LES NATURALISTES DISENT LA VÉRITÉ DE LEUR TEMPS

Le naturaliste dit toute la vérité

La formule dont Maupassant résume la doctrine des romanciers naturalistes ou réalistes, «rien que la vérité, toute la vérité », inscrit leur démarche dans une perspective judiciaire. Il est vrai que le romancier naturaliste instruit le procès de son temps. Comme un témoin à la barre, souvent un témoin à charge, il s’engage à ne rien cacher des réalités qu’on ignorait jusqu’alors pudiquement.

Le naturalisme élargit en effet le champ de la représentation aux plaisirs du corps, il dévoile turpitudes morales et misères sociales. Dans Pot-Bouille par exemple, Zola révèle les vices cachés derrière une façade respectable ; dans Nana, il nous entraîne dans les coulisses de la prostitution ; dans Germinal, il montre dans l’enfer de la mine l’envers du luxe et de la quiétude bourgeoise.

Le naturalisme contre les mensonges et les silences romantiques

Le naturalisme rompt ainsi avec les mensonges et les silences romantiques. Les paysans de La Terre ne sont pas ceux de George Sand: âpres au gain, violents, mécréants, ils n’ont rien des vertus champêtres, de bonté, de piété, de probité des Marie ou des Germain. Quant aux ouvriers de L’Assommoir, ils contredisent l’idéal menteur des Misérables: ivrognes et fainéants, ils sont, certes, empoisonnés par leur milieu mais ils ne sont plus les victimes innocentes que peignait Victor Hugo.

« Rien que la vérité »

Le naturaliste s’interdit donc, en témoin honnête, d’enjoliver ou de noircir le récit des faits, d’égarer le lecteur par d’invraisemblables péripéties : « Toute la vérité» sans doute, mais «rien que la vérité ». Conçue selon ce modèle judiciaire, l’intrigue échappe aux ficelles du romanesque : les coups de théâtre, les signes auxquels on reconnaît les enfants abandonnés, les lettres qui démasquent les coupables et récompensent la vertu, tous ces contes à dormir debout sont désormais caducs.

II – LE NATURALISME : UN ART DE L’ILLUSION

Tout roman est une fiction

Sans remettre en cause les objectifs du naturalisme, Maupassant rappelle que tout roman est une fiction, soumise, en tant que telle, aux lois de l’illusion.

Il serait en effet totalement impossible de tout montrer. La vie ne choisit pas, elle met sur le même plan une multitude d’incidents insignifiants qui encombrent nos journées. Or le romancier vise le sens, il lui faut donc, par la composition, guider le lecteur, lui permettre de décrypter la vérité enfouie sous les faits.

La vérité du récit

Le romancier de talent est un escamoteur qui, sans recourir aux ficelles voyantes du romanesque, organise subtilement l’intrigue pour convaincre. Chez Zola comme chez Maupassant, des scènes se répondent en écho elles font sens parce qu’elles font signe.

Les scènes doubles qui jalonnent le récit, par exemple, donnent la mesure d’une désillusion : Renée, les yeux dessillés, retrouve à la fin de La Curée les grâces factices du Bois de Boulogne qui l’ont perdue ; Gervaise, reléguée dans le coin des pouilleux, se revoit, dans L’Assommoir, pleine d’espérance, ambitionnant un appartement dans la maison ouvrière qui l’a corrompue ; Jeanne, dans Une vie, retourne dans le petit bois où elle a connu le premier frisson de l’amour pour y découvrir la trahison de son mari.

Les artifices de la description dans le roman naturaliste

De la même manière, décrire, c’est toujours choisir. Choisir le petit fait vrai qui fonctionne comme un indice : le bruit de l’or rythme ainsi la quête de l’arriviste dans Bel-Ami, des amours de coccinelles disent au lecteur d’Une vie le piège de la nature auquel se laisse prendre Jeanne, emportée dans le grand rut universel, et le crachat noir de Bonnemort, leitmotiv obsédant de Germinal, insiste sur la terrible condition des damnés de la mine.

III - LES JEUX DU STYLE DANS LE ROMAN NATURALISTE

Le naturalisme pratique l'art de la suggestion

Écrire, c’est enfin mettre en œuvre les ressources du style, qui suggère comme l’illusionniste fait voir un monde qui n’existe pas. Par l’art de l’esquisse ou de la caricature, Maupassant évoque ainsi un personnage ou une scène comme on dit d’un magicien qu’il évoque les esprits : «une chevelure scientifique » et le médecin charlatan de Mont-Oriol est là, devant nous deux rivaux affrontés, « les dents près des dents, [...] l’un maigre et la moustache au vent, l’autre gras et la moustache en croc », et nous voyons Bel-Ami défier Laroche-Mathieu.

le naturaliste passe de l a métaphoreà la métamorphose

Caricaturiste, Zola brosse lui aussi parfois ses personnages d’un trait comme la Levaque dans Germinal, qui s’avachit, «la gorge sur le ventre et le ventre sur les cuisses », mais c’est surtout par la métaphore qu’il fait naître un monde irréel du monde réel, comme le magicien fait naître une colombe d’un foulard. La métaphore est en effet l’art des métamorphoses : la maison de la Goutte-d’or ouvre des mâchoires d’ogre qui mangeront Gervaise, le Voreux jette son haleine de bête mauvaise tapie au fond d’un trou et la Lison expire comme une femme aimée.

En guise de conclusion de la dissertation

Le paradoxe de Maupassant n’est donc qu’ apparent, c’est bien en effet par l’illusion, par les choix narratifs et descriptifs, par les artifices du style que les naturalistes atteignent la vérité.