Publié en 1856, Les Contemplations est un recueil poétique de Victor Hugo qui évoque vingt cinq années de la vie du poète. Les poèmes rapportent le souvenir de moments d'allegresse et d'insouciance, de fêtes de famille et de jeux d'enfants. On y trouve les émotions simples de la vie, les engagements, les combats de l'homme politique, mais aussi la mort, le deuil ainsi qu'une foi mystique. 

► La structure d'ensemble 

L’œuvre maîtresse de la poésie hugolienne, à laquelle viendra s’adjoindre La Légende des Siècles, appartient à la seconde phase créatrice de l’écrivain, marquée par l’exil, même si nombre de poè­mes du recueil ont été volontairement antidatés par Hugo pour conférer à son livre l’aspect, sinon d’un journal, du moins de mémoires orchestrés selon une disposition signifiante. En effet, le recueil se compose de deux parties manifestant clairement une démarcation (Autrefois, puis Aujourd'hui), elles-mêmes bâties sur un mouvement tripartite qui établit un parcours menant du lever du jour jusqu’au mystère de la Nuit obscure de l’au-delà : « Aurore »,« L’Âme en fleur» et «Les Luttes et les Rêves» pour la première. « Pauca meæ », « En marche » et « Au bord de l’infini » pour la seconde. Or, Hugo révèle immédiatement dès sa Préface que les deux parties sont séparées par un tombeau, celui de Léopoldine, la fille tant aimée morte avec son mari le 4 sep­tembre 1843, pierre noire d’un poème impossible à écrire où l’a­phasie forme ainsi le pivot majeur à partir duquel s’écrit le livre, comme à son entour.

► Analyse du recueil

Le moi et la Totalité

À l’inverse des Châtiments où le discours politique et social formait le motif de beaucoup de pièces, les poèmes des Contem­plations renouent plus volontiers avec les thématiques des recueils de jeunesse : les diverses formes de la nature, l’amour, les souvenirs d’enfance et, pour la seconde partie, le voile noir du travail de deuil, attestent la volonté d’un parcours totalisant qui entend embrasser les multiples facettes de l’existence afin d’en dégager le sens, au travers des expériences et des épreuves subies par le ~T< je » du poète. L’exil semble de fait lui conférer une position singulière, celle d’une insularité orchestrée par le chant, de telle sorte que son « moi » tend à se confondre avec une voix qui dépasse l’instance propre au sujet pour l’élever à celle de l’Homme universel. C’est sans doute là le sens de la fameuse exclamation au lecteur dans la Préface : « Ah ! insensé qui crois que je ne suis pas toi ! » ; Hugo souligne par ce biais que la voix qui parle dans le poème dépasse le « moi » vivant pour dire l’Autre à travers lui, tandis qu’elle arpente dans un mouvement parallèle la destruction du « moi » intérieur endeuillé. En ce recueil qui traverse le visage éclate des possibles, il s’agit de « commencer à la Foule et finir à la Solitude », en brassant dans un livre-monstre les âges successifs de la sensibilité d’un sujet qui se reconnaît autant qu’il s’abolit dans une dialectique cons­tante de l’individuel à l’universel.

Le prestige du Verbe

L’exil va ainsi fonctionner comme une sorte de cristallisation biographique des motifs déjà sous-jacents dans l’œuvre anté­rieure : les figures récurrentes du mage, du proscrit ou du pro­phète vont dès lors orienter le recueil vers une dimension mylhographique très nette. Au milieu des éléments déchaînés va s’instaurer un dialogue épique, voire métaphysique, entre les puissances telluriques et célestes, le bien et le mal, les morts et les vivants (voir les deux parties), à partir duquel l’âme du poète s’é­largit aux dimensions de l’univers. Celui-là devient alors propre­ment un visionnaire (empruntant bien souvent, comme dans le livre VI, le ton proprement apocalyptique), se drapant des ori­peaux du génie : un poème tel que « Les Mages » offre assuré­ment une conception très pure du mage romantique, poète voyant qui s’élève au-dessus des hommes afin de leur désigner une voie et se sacrifiant ainsi pour l’Autre auquel il sert de révélateur. Il n’est dès lors nullement surprenant de saisir au fil des poèmes la pro­pension à sacraliser le verbe, à comprendre le jaillissement des images comme autant de moments d’inspiration tirés vers une forme obscure de révélation religieuse, souvent frappée comme des maximes, dont la plus signifiante est sans doute celle-ci : « Car le Mot c’est le Verbe, et le Verbe c’est Dieu. » C’est dire que la poésie est investie ici d’un caractère messianique certain, conférant un statut insigne au poète qui parle à partir de la mort (et pas seulement celle de Léopoldine) pour parvenir finalement à la position ultime de la contemplation, qui se confond pour Hugo avec la poésie même. Le poète devient ainsi celui qui peut s’élever au bord de l’infini précisément comme s'il était déjà mort, c’est-à-dire que le fait de placer la mort. en amont du poème donne accès à une formidable acuité de la vision. Autrement dit, à partir de la double fracture de l’exil et de la mort de Léopol­dine peut s’éployer un régime spécifique de la parole poétique, qui se place sous le patronage de l’absence afin d’aboutir à une parole exilée qui énonce la possibilité d’accès à une communauté idéale avec l’Humain et, in fine, à une contemplation du vrai par et dans l’activité poétique. Le recueil peut alors trouver dans la morte son véritable destinataire ( « À celle qui est restée en France » ), s’ef­façant à la fin en ce don ultime, non sans avoir rivalisé avec le livre des commencements dans cette manière de Genèse que récrit « Ce que dit la bouche d’ombre », où l’ensemble de la spiritualité humaine aura été convoquée dans l’espace débordant du poème.

Une somme poétique

Ce recueil représente donc à tous points de vue une véritable somme, et ses 10 000 vers embrassent comme un bilan d’écriture du poète Hugo. Et ce n’est pas seulement dans « Réponse à un acte d’accusation », où il redéfinit sa position de poète roman­tique, ni même par l’intermédiaire des poèmes convoquant Ché+nier, Dante ou Dumas que Hugo lui confère cette puissance. Car l’œuvre vaut surtout par la manifestation d’une extraordinaire virtuosité lyrique, doublée d’une maîtrise lisible dans le jaillisse­ment permanent des images et dans la variété des rythmes et des schémas employés, de telle sorte que le recueil semble se com­plaire à épuiser la diversité du matériau poétique français, tout en réjouissant le lecteur de trouvailles inépuisables, sans pour autant verser dans l’exercice de rhétorique, mais en trouvant par endroits les accents les plus simples dans leur exacte nudité. Mouvement qui se clôt sur le mot « commencement », en invitant de surcroît à une poursuite sans fin de la magie verbale qu’il n’a cessé d’éployer.