Les Petits poèmes en prose de Baudelaire sont une série de courts poèmes en prose écrits par Charles Baudelaire dans les années 1850. Ils ont été publiés pour la première fois dans le recueil Le Spleen de Paris en 1869.

Ces poèmes sont caractérisés par leur style lyrique et leur ton mélancolique, qui reflètent l'esthétique du mouvement littéraire du symbolisme. Ils traitent de thèmes tels que l'aliénation, la solitude, la décadence et le désespoir.

Thèmes principaux des Petits poèmes en prose

Voici une présentation des thèmes des Petits poèmes en prose de Charles Baudelaire, ainsi que quelques exemples de poèmes qui illustrent ces thèmes :

  1. L'aliénation : plusieurs poèmes de la série traitent du sentiment d'aliénation et de solitude que Baudelaire ressent au milieu de la ville de Paris. Dans "Le Voyage", par exemple, Baudelaire décrit le voyageur solitaire qui erre dans les rues de la ville, "seul au milieu de la foule".

  2. La décadence : Baudelaire était particulièrement fasciné par le thème de la décadence et de la dégénérescence de la société. Dans "La Géante", il décrit une géante déchue qui symbolise la décadence de la ville.

  3. Le désespoir : plusieurs poèmes de la série reflètent le désespoir et la mélancolie de Baudelaire. Dans "Le Confiteor de l'innocence", par exemple, il décrit le sentiment de désespoir qui l'assaille lorsqu'il regarde la ville et son "immense ennui".

  4. L'amour : bien que la plupart des poèmes de la série abordent des thèmes sombres et mélancoliques, il y a également quelques poèmes qui traitent de l'amour. Dans "L'Invitation au voyage", par exemple, Baudelaire invite le lecteur à "prendre le large" avec lui, loin de la "ville morne" et de ses "maisons jaunes", et à laisser derrière lui "les fers d'une vie trop brève".

En résumé, les thèmes principaux des Petits poèmes en prose de Baudelaire sont l'aliénation, la décadence, le désespoir et l'amour. Chacun de ces thèmes est exploré de manière approfondie dans les différents poèmes de la série.

Analyse des Petits poèmes en prose

Pour un poème en prose.

Lorsqu’il commence à rédiger de courts textes en prose, vers 1855, Baudelaire se place dans le sillage d’un genre récent, dont on attribue d’ordinaire à Aloysius Bertrand la paternité ; en effet, avec Gaspard de la nuit, publié en 1842, celui-ci fait figure d’inventeur du poème en prose, même si les bornes du genre sont assez floues pour que d’aucuns considèrent déjà Les Aventures de Télémaque de Fénelon comme un précurseur originel. Quoi qu’il en soit, Baudelaire revendique dans sa "Préface" le modèle de Ber­trand, fondé sur un refus de la période romantique, de la phrase nombreuse, au profit d’une esthétique de la brièveté (qui rencontre aussi bien la position théorique de Poe) susceptible de saisir les multiples aspects de la réalité.

Cependant, là où son prédécesseur s’attachait aux grâces du temps passé, Baudelaire entend s’ « appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d'une vie moderne et plus abstraite » : le poème en prose, libéré des contraintes formelles du vers, autorise ainsi une peinture plus ondoyante mais également plus précise des paysages parisiens contemporains, qui forment la scène chan­geante d’un recueil que le poète pensait d’ailleurs intituler Le Spleen de Paris. La prose que Baudelaire appelle de ses vœux, prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, permet dès lors une traduction qui a chance d’épouser l’univers de la ville, scindé entre le drame et le sublime, le cruel et le comique, selon la fameuse double postulation qui traverse toute son œuvre. À l’instar de ce qu’affirme le poète dans son Art phi­losophique, le poème en prose semble l’outil le plus adéquat afin de « créer une magie suggestive contenant à la fois l’objet et le sujet », tant il est clair que l’ensemble des pièces des Petits poèmes en prose atteste cette confrontation du sujet à ce qui suscite son écriture.

Une esthétique poétique du discontinu

Dans sa Préface à A. Houssaye, Baudelaire affirmait lui-même que tout [...] y est à la fois tête et queue, soulignant de la sorte, à l’inverse des Fleurs du Mal, le travail du discontinu dans le recueil. L’effet de disparité est tout d’abord sen­sible dans les divers tons et genres visités : de l’allégorie à l’em­bryon de nouvelle, de la scène de rue aux rêveries lyriques, les Petits poèmes en prose déplacent sans cesse la tonalité comme pour mieux rendre sensible la mutabilité du réel dont ils rendent compte, plaçant du même coup le lecteur sur un terrain mouvant qui le contraint à une lecture qui ne saurait se constituer une fois pour toutes en un régime uniforme. Toutefois, cette disparité n’im­plique aucunement une quelconque faiblesse de composition, parce qu’elle se trouve fédérée dans une voix qui en assure l’unité, en mettant systématiquement en avant le «je» du poète dont le texte constitue alors comme la réaction, par et dans l’écriture, d’un regard fortement personnalisé, et qui se met lui-même en scène dàmTson discours. On comprend en quoi ces poèmes appa­remment anodins participent de la volonté de Baudelaire d’une poétique de la modernité qu’il définira dans Le Peintre de la vie moderne comme le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable.

C’est ainsi que ces poèmes tentent de révéler la.part de beauté enfermée dans la moindre scène, la grandeur cachée qui fait de l’attention la qualité majeure du poète, très souvent polarisée sur l’univers urbain dont il extrait les éclats signifiants en se plaçant sous l’égide de la muse familière, la citadine, la vivante.

Les Petits poèmes en prose : une œuvre ambiguë

La critique manifeste souvent une gêne devant les poèmes en prose de Baudelaire, leur préférant l’aspect plus abouti des Fleurs du Mal, relevant à l’envi le semi-échec d'une prose pas vraiment novatrice, décevant les espoirs levés par la Préface ; on s’accorde à signaler l’importance des doublets en prose de poèmes inclus dans Les Fleurs du Mal, tout en regrettant la présence d’une syntaxe encore travaillée par le vers. Sans doute y a-t-il là une part de vérité, mais n’est-ce pas méconnaître la poétique de la dif­férence qu’entend ici élaborer Baudelaire ? Car non seulement c’est un régime nouveau de lecture qu’il impose, mais il fraye sur­tout la voie à un statut différent du sujet poétique qu'il initialise, non plus celui de mage romantique, mais bien plutôt celui d’une identité en crise qui s’affronte à une radicale altérité accueillie par un-rythme lui offrant un creuset original, cherchant dans l’éclatement du réel l’image de son visage épars.

Exemples de petits poèmes en prose de Baudelaire

Premier exemple : "Le fou et la Vénus", extrait des Petit poèmes en prose

Quelle admirable journée ! Le vaste parc se pâme sous l’œil brûlant du soleil, comme la jeunesse sous la domination de l’Amour.

L’extase universelle des choses ne s’exprime par aucun bruit ; les eaux elles-mêmes sont comme endormies. Bien différente des fêtes humaines, c’est ici une orgie silencieuse.

On dirait qu’une lumière toujours croissante fait de plus en plus étinceler les objets ; que les fleurs excitées brûlent du désir de rivaliser avec l’azur du ciel par l’énergie de leurs couleurs, et que la chaleur, rendant visibles les parfums, les fait monter vers l’astre comme des fumées.

Cependant, dans cette jouissance universelle, j’ai aperçu un être affligé.

Aux pieds d’une colossale Vénus, un de ces fous artificiels, un de ces bouffons volontaires chargés de faire rire les rois quand le Remords ou l’Ennui les obsède, affublé d’un costume éclatant et ridicule, coiffé de cornes et de sonnettes, tout ramassé contre le piédestal, lève des yeux pleins de larmes vers l’immortelle Déesse.

Et ses yeux disent : — « Je suis le dernier et le plus solitaire des humains, privé d’amour et d’amitié, et bien inférieur en cela au plus imparfait des animaux. Cependant je suis fait, moi aussi, pour comprendre et sentir l’immortelle Beauté ! Ah ! Déesse ! ayez pitié de ma tristesse et de mon délire ! »

Mais l’implacable Vénus regarde au loin je ne sais quoi avec ses yeux de marbre.

Deuxième exemple : "Les foules", extrait des Petits poèmes en prose

Il n’est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude : jouir de la foule est un art ; et celui-là seul peut faire, aux dépens du genre humain, une ribote de vitalité, à qui une fée a insufflé dans son berceau le goût du travestissement et du masque, la haine du domicile et la passion du voyage.

Multitude, solitude : termes égaux et convertibles pour le poëte actif et fécond. Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée.

Le poëte jouit de cet incomparable privilége, qu’il peut à sa guise être lui-même et autrui. Comme ces âmes errantes qui cherchent un corps, il entre, quand il veut, dans le personnage de chacun. Pour lui seul, tout est vacant ; et si de certaines places paraissent lui être fermées, c’est qu’à ses yeux elles ne valent pas la peine d’être visitées.

Le promeneur solitaire et pensif tire une singulière ivresse de cette universelle communion. Celui-là qui épouse facilement la foule connaît des jouissances fiévreuses, dont seront éternellement privés l’égoïste, fermé comme un coffre, et le paresseux, interné comme un mollusque. Il adopte comme siennes toutes les professions, toutes les joies et toutes les misères que la circonstance lui présente.

Ce que les hommes nomment amour est bien petit, bien restreint et bien faible, comparé à cette ineffable orgie, à cette sainte prostitution de l’âme qui se donne tout entière, poésie et charité, à l’imprévu qui se montre, à l’inconnu qui passe.

Il est bon d’apprendre quelquefois aux heureux de ce monde, ne fût-ce que pour humilier un instant leur sot orgueil, qu’il est des bonheurs supérieurs au leur, plus vastes et plus raffinés. Les fondateurs de colonies, les pasteurs de peuples, les prêtres missionnaires exilés au bout du monde, connaissent sans doute quelque chose de ces mystérieuses ivresses ; et, au sein de la vaste famille que leur génie s’est faite, ils doivent rire quelquefois de ceux qui les plaignent pour leur fortune si agitée et pour leur vie si chaste.

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