Epicuriens et stoïciens : idéal d’ataraxie

 À la suite d’Aristote, deux écoles philosophiques s’opposent sur la nature du bonheur. Chacune retient une leçon différente de l’Ethique à Nicomaque d’Aristote : pour les épicuriens, le bonheur consiste dans le plaisir; les épicuriens sont hédonistes. Pour les stoïciens, seule la vertu peut apporter le bonheur.

1. Les plaisirs naturels selon Épicure :

Épicure (-342 à -270), fondateur de l’école qui porte son nom, explique sa doctrine du bonheur dans la Lettreà  Ménécée. Nous résumerons très rapidement sa position : La pensée d’Epicure n’est pas absolument dépourvue de pessimisme, puisque sa définition du bonheur est surtout négative : éviter la souffrance. Cela dit, il pense qu’il est possible d’y parvenir sans ascétisme, sans réprimer quoi que ce soit en l’homme. Une fois parvenu à cet état, l’homme sera sans aucun trouble, sans inquiétude et sans douleur : c’est l’ataraxie, état du sage dont l’épicurisme et le stoïcisme partagent l’idéal.

Le remède naturel à la souffrance étant le plaisir, la voie du bonheur n’est pas difficile à tracer. Mais encore faut-il que ce plaisir vienne satisfaire un désir naturel, c’est-à-dire un désir qui ne soit pas insatiable. Les désirs naturels, pour Epicure, ont des seuils de satisfaction : lorsqu’on les assouvit, on parvient à un certain point de plaisir auquel le désir cesse, et on est rassasié. Suivre ses désirs naturels permet donc de parvenir au bonheur. En revanche, certains désirs, ceux que nous dépravons, sont vains : ils sont à proprement parler vides, ils n’ont aucun seuil de satisfaction. On peut les assouvir sans retenue, ils ne seront jamais satisfaits, ils nous laisseront toujours en souffrance. Par exemple, l’amour des richesses est un désir vain : car à quel moment peut-on dire que l’on a assez de richesses ? Pourquoi pas en avoir encore davantage ? Mais on ne répond jamais à cette question : un oui conduit à la réitérer encore. On va ainsi à l’infini, sans limite, mais toujours en souffrance.


 


 2. Les stoïciens : une recherche de l’absolu : Les stoïciens sont beaucoup plus exigeants que leurs adversaires épicuriens sur la définition du bonheur. Ils soutiennent qu’il n’y a de bien qu’absolu et sans mélange : de même que le chaud ne peut se mêler au froid, le bien ne peut se mêler d’imperfection ou de mal. Une vie vraiment bonne, vraiment réussie, c’est une vie sans aucun défaut. Par conséquent, le bonheur c’est la vertu, et non le plaisir. Le plaisir est par essence imparfait, car il ne concerne que l’individu etne le satisfait jamais qu’un temps ; non, le vrai bonheur humain est celui des dieux. L’incarnation du bien, pour le philosophe stoïcien, c’est le sage, qui jouit d’une impassibilité et d’une ataraxie parfaites, comme les dieux.

Tout en étant extrêmement exigeants sur le bonheur, les stoïciens sont plutôt pessimistes sur la nature humaine : la vraie plénitude n’est pas à sa portée. Etre vertueux n’est plus seulement, comme pour Aristote, réaliser les capacités humaines et donner l’image d’un être humain épanoui. Pour les stoïciens, l’homme fait partie d’un tout plus vaste qui l’englobe, et qui est le seul être vraiment parfait : le monde entier, qui pour eux est un être vivant, un véritable dieu — en fait le seul vrai Dieu. On retrouve ici la même exigence peut-être démesurée de perfection absolue, mais cette fois dans le domaine de la physique : le monde est un vivant entièrement rationnel et parfait, où tout est à sa place, et qui réalise le bien absolu. Alors pourquoi le mal, pourquoi l’imperfection? Cela vient uniquement de nos limites, du fait que nous ne sommes qu’une partie de ce tout parfait : ce qui est bon pour le tout peut être mauvais pour une de ses parties. Ainsi la vertu n’est pas seulement le moyen de réaliser le plein épanouissement de l’homme mais aussi la volonté de se soumettre à un ordre total qui nous dépasse. Seul pourra être heureux l’homme qui dit « oui » au destin, qui acquiesce à cet ordre du monde qu’il ne maîtrise pas.

 Il reste que le sage est semblable à un dieu. Comment comprendre une telle gageure? Comment l’homme, être dépendant de tout pour sa survie, pourrait-il se suffire à lui-même ? Pour répondre à cette question, les stoïciens reprennent une vieille distinction grecque, entre « ce qui dépend de nous » et « ce qui n’en dépend pas ». La fortune, le hasard, les circonstances de la vie, voilà par excellence ce qui ne dépend pas de nous ; les stoïciens y ajoutent la santé, la richesse, le plaisir, la beauté... Que reste-t-il qui dépend vraiment de l’homme? Sa pensée, ses idées, son jugement; ou comme le dit Epictète au tout début de son Manuel: « nos jugements, nos tendances, nos désirs, nos aversions ». Les stoïciens inventent ici ce qu’on appellera à partir du XVIIe siècle la conscience : le domaine intérieur et subjectif des pensées, des jugements et des valeurs de chacun. Le sage est celui qui sait maîtriser entièrement sa propre pensée, son propre jugement; confronté aux assauts du monde, son «domaine intérieur »reste inébranlable ; là, le sage est vraiment « roi » et « invincible ». C’est donc dans la «forteresse» intérieure invincible de son intériorité que le sage est heureux.

 

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