La Terre : une planète comme les autres.

Plus nettement encore que Léonard, Copernic a vu dans la Terre une planète comme les autres. Aristote et Ptolémée invoquaient en faveur de l’immobilité de la Terre, centre du monde, la chute des “graves” vers le bas, “lieu naturel” de tous les corps. Copernic rétorqua que les “graves” ne tendent pas vers le centre du monde, la gravité n’étant que la tendance naturelle des parties d’un tout séparées de ce tout à le rejoindre. Les “graves”, sur notre planète, ne cherchent donc qu’à rejoindre leur tout, qui est la Terre. Des parties séparées de la Lune chercheraient pareillement à rejoindre la Lune, et non le centre du monde. Cette uniformisation et cette systématisation du cosmos est un des aspects les plus importants de la révolution copernicienne. De même tous les mouvements célestes se trouvaient systématisés et expliqués par une règle unique, la durée du parcours d’une planète autour du Soleil étant fonction de la distance qui la sépare de celui-ci.

L’œuvre de Copernic fut assez rapidement connue. On salua le savant polonais du titre de “nouveau Ptolémée”. Mais on n’acquiesça pas pour autant à son système. Il est symptomatique que Tycho Brahé (1546-1601), qui fut un observateur remarquable et qui rejeta la conception des orbes solides, ait proposé un troisième système du monde combinant celui de Copernic et celui de Ptolémée. Il fit tourner les planètes autour du Soleil.., et le Soleil autour de la Terre. Encore au milieu du XVII siècle, Pascal déclarait ne pas pouvoir choisir entre les trois systèmes.

L’Eglise ne s’inquiéta des conséquences de la révolution copernicienne qu’à partir du moment où Giordano Bruno en eut tiré des conséquences philosophiques. Dans la Cena delle ceneri (1954), le moine philosophe présenta un éloge vigoureux et pertinent de l’astronomie copernicienne. Mais, héritier spirituel non seulement de Copernic, mais aussi de Nicolas de Cues, il affirma bientôt l’infinité du monde. Adversaire obstiné d’Aristote, poussé vers le panthéisme par une tradition néo-platonicienne, Giordano Bruno devança les découvertes télescopiques de Galilée. Il déclara l’univers “immense”, “innombrable”, peuplé d’une infinité de mondes pareils au nôtre. Il rejeta donc complètement la notion d’un centre de l’univers.  Le Soleil, perdant la place privilégiée que lui assignait Copernic, était ramené au rôle plus modeste de « centre de notre machine ». Il était un soleil parmi les soleils, une étoile parmi les étoiles. Assurément Bruno, qui n’était ni un physicien, ni un mathématicien, ni un astronome, dépassait le cadre de la science en glissant vers le panthéisme. Mais il est un de ceux qui on fait craquer le cosmos médiéval, dont il a bousculé les frontières. La nature se trouvait unifiée, l’espace géométrisé. Vingt-trois ans après la mort de Bruno, Galilée énoncera la formule décisive “La nature est écrite en langage mathématique.”

Jean Delumeau, La Civilisation de la Renaissance, pp. 505/506.