Le but de Bergson dans ce chapitre est de conduire le lecteur par touches successives, à l’« idée» originale de «durée », dont les caractéristiques ne seront donc pas d’emblée posées, mais progressivement déduites par opposition à celles de l’espace. 

le temps vécu bergson données immédiates de la conscience

  1.La théorie du nombre et « les deux multiplicités»

 a. Le nombre et l’espace

Le chapitre s’ouvre sur une analyse du nombre de style transcendantal, puisqu’elle vise à en dégager la condition a priori de possibilité. L’enjeu critique de cette section est de montrer que le temps n’entre pour rien dans la constitution du nombre : compter, c’est parcourir une multiplicité dont les unités se juxtaposent dans l’espace.

 b. «Multiplicité numérique» et «multiplicité qualitative»

Pourtant, il n’y a pas «une» mais «deux» manières de compter, qui obligent à supposer deux types de multiplicités : le nombre est une multiplicité qui se compte immédiatement, et s’oppose, à ce titre, à un autre genre de multiplicité qui ne peut être dénombrée qu’à travers une médiation symbolique. Cette seconde multiplicité est temporelle, mais en un sens qui reste entièrement à conquérir, puisque Bergson distingue d’emblée radicalement le temps comme forme dans laquelle nous comptons, de ce qu’il appelle la «vraie durée ».

 

2. Une «étude directe des idées d’espace et de temps»

a. L’espace

Il s’agit tout d’abord d’exposer la nature de ce fondement auquel l’analyse du nombre a conduit : l’espace. Bergson est d’accord avec Kant pour conserver à ce fondement sa valeur transcendantale : l’espace est ce «milieu vide homogène» où se dispose et se distingue tout ce qui se compte immédiatement. Mais Bergson élargit considérablement la signification de l’espace, puisqu’il en fait une véritable détermination anthropologique, à l’origine du langage et de la société.

 b. La durée et son déploiement dans l’espace : le «temps homogène»

Bergson revient alors sur la dualité entrevue plus haut au sein de notre conception du temps, en montrant que le temps dans lequel nous discernons des unités trahit sa compromission avec l’idée d’espace, et révèle ainsi une nature mixte. Par contraste, la pure durée est définie suivant un caractère exactement inverse de l’homogène l’hétérogénéité.


3. Conséquences de la distinction entre l’espace et la durée...

Bergson va alors faire retentir les analyses de la durée concrète sur la compréhension du mouvement, sur les concepts de la mécanique et, enfin, sur la vie psychologique, entièrement reconsidérée à travers une distinction entre deux moi, le «moi superficiel» et le «moi profond », qui ouvre la question de la liberté.

 
a.  sur l’analyse du mouvement : le trajet et la trajectoire

Le cas de la perception du mouvement est celui où la confusion entre le temps et l’espace est à son comble, dans la mesure où tout mouvement nous paraît consister dans une succession de positions simultanées. En réalité le mouvement est irréductible aux points occupés par un mobile dans l’espace : il résulte d’un acte de synthèse de la conscience, analogue à la succession temporelle de nos états de conscience. Bergson souligne alors l’erreur de Zénon qui ne comprend pas le mouvement, parce qu’il en reste à la divisibilité infinie de l’espace, et manque l’indivisible.

 b. ... sur les concepts de la mécanique : durée et simultanéité

 La distinction entre la durée et l’espace permet alors une seconde application critique, dans le domaine de la science cette fois, à propos des concepts de la mécanique,

Bergson montrant que la science ne s’intéresse jamais qu’à des «moments» du temps, c’est-à-dire à des simultanéités dans l’espace, et non au temps lui-même comme passage qualitatif. Il rejoint ainsi ce qui est le point de départ de sa philosophie : le constat que le temps réel échappe à la science.

 c. ... sur la vie psychologique : les deux moi

La distinction entre les deux types de multiplicité, qui ouvrait le chapitre, passe alors à l’intérieur du moi lui- même, qui prend désormais un double «aspect», comme moi «superficiel» ou «profond », partageant ainsi notre vie psychique elle-même entre deux significations tantôt sociale et spatiale, tantôt individuelle et temporelle.

Conclusion

Avant de dégager le sens pratique de cette distinction, ce qui sera l’objet du troisième chapitre dans son ensemble, Bergson explicite les conséquences théoriques de ce dédoublement de la personne, du point de vue de la connaissance que l’on peut en prendre, en ouvrant la voie à deux psychologies, également légitimes, l’une «superficielle », qui s’attache à la description et à l’analyse des états de conscience, l’autre concrète et dynamique, qui en donne la genèse métaphysique.

Arnaud Bouaniche, Dossier critique de l'Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF,1927