L’homme : Nicolas Machiavel (1469-1527)

Homme politique italien, Nicolas Machiavel occupe des fonctions de secrétaire au sein de la seconde chancellerie de Florence ; il accomplit plusieurs missions diplomatiques, notamment auprès de César Borgia. En 1512, avec l’effondrement de la république et le retour au pouvoir des Médicis à Florence, il connaît la disgrâce, est même impliqué dans un complot, torturé, emprisonné, puis banni. C’est dans ce contexte d’échec personnel et de troubles politiques dans l’Italie du début du XVIe siècle qu’il écrit le Prince.

Le Prince: résumé court

Rédigé en italien, le livre contient 26 chapitres.

Dans le premier chapitre, Machiavel divise les États en deux grands groupes : les républiques et les monarchies, celles-ci sont soit héréditaires soit nouvelles. Après cette distinction l’auteur évoque les évènements récents qui secouent l'Italie au Quattrocento, en particulier les machinations de César Borgia pour s'emparer de la Romagne et les intrigues des Sforza dans le Milanais pour écarter les Visconti du pouvoir.

Dans les chapitres II à XI, Machiavel examine les différents moyens de conquérir les Etats et de conserver le pouvoir.

Les chapitres XII à XIV traitent les questions militaires, l’auteur prend position notamment pour le recrutement d’une armée nationale au détriment de l’enrôlement des mercenaires toujours à l’origine de plus de torts que de bien pour le prince.

Dans les chapitres XV à XXIII Machiavel présente l’essentiel de ce qui sera retenu et interprété par la postérité sous le nom de machiavélisme : des recommandations dépourvues de toute moralité, visant à conserver le pouvoir.

Les derniers chapitres (XXIV à XXVI) révèlent les véritables objectifs de Machiavel : ces recommandations ont pour finalité la libération et l’unification de l’Italie.

César Borgia, modèle politique selon Machiavel

Après avoir conquis toute la Romagne, ce « prince » doit y instaurer l’ordre. Il confie cette mission à Rémy d’Orque qui pacifie la région en pratiquant la terreur de la répression sanglante... et en s’attirant la haine de la population. Pour établir sa popularité et assurer son pouvoir, César Borgia fait alors arrêter et juger Rémy d’Orque pour barbarie envers le peuple, il le fait exécuter sur la place publique. L’intelligence immorale, mais efficace, est un modèle de stratégie politique ; le « prince », c’est-à-dire le « premier », le chef, doit pouvoir être cruel, voire fourbe, comme l’est César Borgia à l’encontre de Rémy d’Orque, pour établir son pouvoir. 

Le prince entre la « virtù » et la « fortuna »

Ce sont les deux mots-clés de l’ouvrage. « Fortuna » est un équivalent de « conjoncture » ; ce terme désigne la réalité que doit gérer le prince. L’intelligence politique est d’abord une faculté de discernement : le prince doit être capable de distinguer, dans la réalité qu’il doit gérer, ce sur quoi il peut agir, de ce qu’il ne peut qu’accepter. L’homme est capable d’action, encore faut-il qu’il soit lucide pour être efficace, il n’est pas omnipotent. « Virtù » est un mot qui prend tout son sens par son étymologie latine, « homme », « virilité » ; ce terme regroupe un ensemble de qualités intellectuelles, psychologiques et morales : intelligence stratégique, courage voire bravoure, opiniâtreté. C’est cette qualité qui façonne le prince, l’homme politique, en le rendant apte à gérer la « fortuna ».

La mise en œuvre de la « virtù »

Elle rend le prince capable de s’adapter au réel. Elle ne sert pas une vérité morale ou spirituelle définitive, qui s’imposerait à lui. La morale et la religion ne sont pas des fins, elles sont de simples moyens, d’ailleurs très efficaces, d’action politique ; le prince doit savoir utiliser en particulier la crainte suscitée par la morale religieuse. De même, il ne s’enferme pas dans une seule stratégie ; il choisit tantôt « la ruse du renard », tantôt « la force du lion », selon les circonstances. Enfin, il est capable de jouer avec son image, ce qui suppose une bonne connaissance de son peuple ; il est tantôt craint, tantôt aimé ; ce n’est pas l’authenticité de la relation avec le peuple qui est en jeu, seule l’efficacité importe.

La défense d’une valeur politique : le patriotisme

On pourrait croire Machiavel exclusivement immoral, c’est notamment la réputation que les moralistes traditionnels ont forgée de lui. On pourrait aussi le croire cynique, désabusé sur le peuple : « Quiconque veut fonder un État et lui donner des lois doit supposer d’avance les hommes méchants [...] ingrats, changeants, dissimulés ». En fait, sa philosophie politique s’explique par la situation de Florence et de l’Italie de l’époque, la « fortuna » que vit Machiavel. Le contexte historique est marqué par une profonde instabilité parce que, quatre sphères d’influence se disputant le pouvoir, celle des grandes familles, celle de la papauté, celle de l’Espagne et Charles Quint, et enfin celle de la France et François Ier, c’est la corruption qui règne en maître. Musset dans son drame historique Lorenzaccio rend compte de ce marasme politique. Seul un prince nouveau, au pouvoir fort, pourra assurer un minimum de stabilité politique, « libérer l’Italie des Barbares »... et de la corruption, et lui restituer la dignité.

Le prince de Machiavel: Portée et postérité 

Machiavel est considéré à juste titre comme l’un des fondateurs de la science politique : pour lui, l’art de gouverner ne se déduit pas d’un système de référence a priori, d’une « idéologie », il consiste à « suivre la vérité effective de la chose », à maîtriser l’intelligence du réel pour construire une action politique efficace au service de la « Cité », de la « polis ». Il inaugure la « real politik » dont on parle beaucoup de nos jours. Cette modernité ne cache pas le fait qu’il est un homme du XVIe siècle qui réduit presque totalement la question politique aux seules relations entre un individu, le prince, et son peuple, dans une analyse souvent limitée à la seule psychologie. Les questions financières et sociales par exemple sont peu abordées. Il n’empêche que Machiavel est un penseur moderne déformé par la tradition morale qui lui a fait dire ce qu’il ne dit pas : « la fin justifie les moyens » ; Machiavel aurait d’ailleurs revendiqué la formule à condition de donner à « fin » son sens « machiavélien », l’intérêt de la Cité. Sans doute y a-t-il lieu de distinguer « machiavélique », acception injuste, de « machiavélien », adjectif qu’il reste à imposer : Machiavel n’est pas aussi immoral qu’on a voulu le faire croire ! Sa morale politique est faite de dévotion à l’État et de raison d’État.

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