• Présentation du recueil de nouvelles d'Anne Hébert :

LE TORRENT . Recueil de nouvelles d’Anne Hébert (Canada/Québec, née en 1916), publié à Montréal aux Éditions Beauchemin en 1950.

 L’ordre chronologique de rédaction des cinq nouvelles regroupées sous le titre le Torrent fait apparaître une progression des thèmes, qui passent du rêve de vie et de liberté («l’Ange de Dominique», 1938-1944, qui met en scène le rêve de danse d’une jeune fille paralytique), à la hantise d’un échec qui laisse certains êtres en marge («la Maison de l’esplanade», 1942, où une vieille fille qui n’a jamais connu l’amour mène une vie sclérosée et dépourvue de sens, ou «la Robe corail», histoire d’une jeune ouvrière séduite et abandonnée), pour atteindre la violence d’une révolte contre les forces d’aliénation («le Torrent», 1945) et finalement aller jusqu’à la destruction par la guerre («le Printemps de Catherine», 1946-1947) pour accéder à une totale liberté. 

  • Le torrent : résumé  

Le Torrent. «J’étais un enfant dépossédé du monde» dit François, fils d’une femme coupable, Claudine Perrault, fille mère qui vit seule avec son enfant dans une ferme retirée au bord d’un torrent. En destinant son fils à la prêtrise, Claudine veut racheter sa dignité; lorsque François refuse de devenir prêtre, elle se déchaîne et le frappe sauvagement au point de le rendre sourd. C’est l’arrivée d’un cheval, appelé Perceval, qui va donner forme à la révolte. Par sa force, sa fougue indomptable, Perceval exerce une fascination sur François et lorsque le cheval rétif, délivré par lui, tue Claudine, François se croit libre mais son destin l’emprisonne. En quête d’une femme, il rencontre celle qu’il appelle Amica, dont bientôt la seule présence l’effraie. Amica finit par s’enfuir en volant l’argent de François. Dans sa solitude, il ne résiste pas à la seule force insoumise encore présente: le torrent, qui le délivrera des images qui le hantent en l’emportant dans ses flots.

  • Analyse de la nouvelle:

Anne Hébert appartient à une famille d’écrivains pour qui écrire, c’est apprendre à vivre avec soi-même. Avec le Torrent, elle affiche sa nature tourmentée et farouche; elle ne se maintient plus au bord du gouffre, mais sonde avec une extrême lucidité ses ténèbres intérieures et le monde qui l’environne.

François, fils d’une femme coupable, monstrueux produit de la malédiction qui pèse sur la fille mère, vit une aliénation terrifiante. Attaché par les liens du sang à une damnée et objet même de cette damnation, il est condamné à la culpabilité. La présence de la mère s’impose comme une obsédante conscience morale dont l’unique souci est d’habituer son fils à mesurer ses actes à l’échelle de la culpabilité. Jusqu’à ses derniers instants, avant qu’il ne la noie avec lui dans les flots du torrent, l’image de la mère hante cet homme paralysé, magnétisé, figé de peur et d’admiration face à celle qui l’a enfanté.

En refusant de perpétuer le sacrifice expiatoire que la mère s’est imposée à elle-même, François s’expose à la violence de Claudine, qui précipite le récit du drame vers la tragédie. Le choc ressenti, la rupture avec le monde extérieur et l’aggravation de la situation conflictuelle ouvrent un abîme: celui de la révolte, symbolisé par le torrent. Mais pour manifester ce sentiment, le récit fait d’abord appel à une force animale. Instrument de la révolte, Perceval, double antithétique et idéalisé de François, exprime le refus de soumission à la «gigantesque Claudine Perrault», la fougue et la passion que le jeune homme n’a jamais pu extérioriser. Quant au torrent, il ne prend toute sa signification qu’après la mort de la mère qui, loin d’être une délivrance, révèle le désespoir d’une révolte retournée contre elle-même. L’innocence est désormais interdite pour toujours et c’est dans l’âme de François que vit Claudine Perrault. Conscient du mal en lui, il n’a d’autre choix que de le combattre en s’enlevant la vie. Le torrent devient alors invitation au suicide.

L’atmosphère de tension intérieure qui habite le récit n’a rien d’une romantique anxiété adolescente. C’est la psychologie hallucinée et fiévreuse, la souffrance d’un homme mûr et lucide, qui s’expriment. Plongé en lui-même sans rémission, François ne peut échapper à une enfance suppliciée: «Ô ma mère que je vous hais! et je n’ai pas encore tout exploré le champ de votre dévastation en moi.»

Intense comme le sont les poèmes du Tombeau des rois, écrit dans le même langage net et concis, ce récit à la voix fragile, d’une extrême densité, manie les songes avec délicatesse. En phrases brèves, il pointe avec une étonnante lucidité les plaies morales ou sociales de la «Belle Province». Tenue pour un grand classique de la littérature canadienne française contemporaine, cette fable terrible, à la charge symbolique explosive, caractérise parfaitement l’aliénation québécoise. Claudine, plus qu’un type de femme, un cas de mère déséquilibrée et monstrueuse, est un symbole sur lequel viennent se cristalliser tous les tabous, tous les interdits, toutes les peurs de vivre qui ont pesé sur la conscience canadienne française. Contrairement à nombre d’œuvres qui dans ce pays n’ont su trouver d’autre voie que celle de l’expression d’un drame collectif, chez Anne Hébert, le plus haut degré de signification collective coïncide avec le plus pur achèvement d’un art intensément personnel. Mais le Québec n’était pas préparé à recevoir le choc d’un tel texte et lors de sa parution, la Revue de l’université Laval, sous la plume de Bertrand Lombard, soulignait que «les personnages de Mlle Hébert ne sont pas de notre terroir et appartiennent, par la tristesse de leur destin, aux absurdités existentialistes».

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