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Tel qu’il est figuré sur la ligne du temps physique, l’instant présent a une durée nulle. Il se concentre en un point, point qui symbolise notre connexion actuelle à la ligne du temps. Mais la perception que nous en avons n’est jamais aussi concentrée, car notre conscience épaissit l’instant présent, émousse sa brillance, la dilate en durée. Elle l’habille de son voisinage, l’enveloppe d’une rémanence de ce qu’il a contenu à l’instant précédent et d’une anticipation de ce qu’il contiendra à l’instant suivant. Ainsi lorsque nous écoutons un air de musique, nous percevons bien que la note précédente est comme retenue avec la note présente qui se projette elle-même dans la note suivante. Le présent, lorsqu’il disparaît, laisse toujours une trace dans la conscience, en même temps qu’il y préfigure son prolongement : une sorte d’alliance continuée du passé immédiat et du futur imminent s’établit au sein du présent perçu. Sans cette alliance, il n’y aurait pas de mélodie à proprement parler. Ainsi, notre conscience du présent unifie-t-elle – ou rassemble-t-elle – des instants successifs qui ne coexistent pas dans le temps physique. Car pour la physique, deux instants qui se succèdent n’existent pas ensemble.

 

Vue sous cet angle, la représentation du passage du temps par une ligne, qui nous semble si naturelle, apparaît plutôt comme le résultat d’une opération compliquée. Elle revient en effet à considérer que deux événements distincts et successifs s’excluent mutuellement de l’existence en même temps qu’ils appartiennent à une seule et même série. Saisir le passage du temps, c’est en somme procéder à une lecture à la fois analytique et intégrative de la suite des instants : un ensemble de points, au départ sans corrélation,  s’organise en une ligne continue, devient un continuum temporel. C’est cette capacité intégrative de la conscience qui nous permet d’imaginer qu’existe un « cours du temps ». D’ailleurs, lorsqu’elle vient à faire défaut, on se retrouve dans la situation du malheureux père Bourdin évoqué par Descartes : « J’ai connu une personne qui, un jour, comme elle sommeillait, ayant entendu sonner quatre heures, se mit à compter ainsi l’horloge, une, une, une, une. Et pour lors l’absurdité qu’elle concevait dans son esprit la fit s’écrier : “Je pense que cette horloge est dérangée, elle a sonné quatre fois une heure”». Ce monsieur croyait que, ayant sonné quatre heures, l’horloge avait sonné quatre fois une heure : chaque nouvelle sonnerie de l’horloge lui paraissait la répétition de la sonnerie précédente et n’apportait à ses oreilles aucune information supplémentaire.

La perception du temps comme un passage, imbriquant le futur, le présent et le passé, nécessite donc bel et bien une double opération de la pensée : il faut non seulement distinguer le présent, seul existant, et exclure le passé et le futur, mais aussi – en même temps – appréhender à la fois l’instant présent, l’instant passé et l’instant futur, les penser dans leur appartenance à une même série. Il n’y a pas un instant, puis un autre, il y en a un, puis un deuxième, puis un troisième. Ce qui suppose que le premier et le deuxième n’existent plus lorsqu’est présent le troisième, mais que quelque chose d’eux demeure qui permet de penser les trois instants comme appartenant à un même tout. L’intervention d’une conscience « intégrante » semble donc nécessaire à la conceptualisation d’un cours du temps qui soit continu et homogène. Est-ce à dire que le cours du temps dépend lui-même de la conscience ? Ou existe-t-il de façon autonome par rapport au sujet conscient ?

 Au sein de la ligne du temps, le présent occupe, pour nous, une place singulière. Il nous apparaît même unique, radicalement différent de tous les autres instants, puisqu’il est celui où nous sommes…présents. Un instant n’est d’ailleurs qualifié de présent qu’en référence à nous : la seule chose qui le distingue a priori de ses congénères est que cet instant-là accueille notre présence. Pourtant, sur la ligne qui représente le temps physique, c’est un instant singulièrement…banal : rien ne semble le distinguer des instants qui le précèdent ni de ceux qui le suivent, si ce n’est que nous le déclarons présent. De prime abord, la mathématisation du temps semble donc banaliser le présent en lui ôtant toute spécificité par rapport aux autres instants : par définition, tout instant du temps est, a été ou sera présent. Une question se pose donc : par quoi l’instant présent, physiquement si quelconque, devient-il, pour nous, si singulier ? Sa particularité vient-elle de nous ou lui est-elle intrinsèque ? En d’autres termes, existe-t-il un présent du monde, ou ce que nous appelons le présent ne fait-il que marquer notre présence au monde ?

Quel est, en somme, le statut de l’instant présent ? Est-il ce par quoi le temps se donne à nous ou ce par quoi nous nous situons dans le temps ? Cette question est d’autant plus délicate que nous disposons, sinon de deux concepts, du moins de deux expériences distinctes du temps. Que trouvons-nous, en effet, dans notre langage courant pour dire le temps ? D’une part, des expressions telles que « avant », « après », « pendant », d’autre part, des expressions comme « présent », «  passé » , « futur ». Les premières n’expriment que des relations (d’antériorité, de postériorité, de simultanéité) entre des événements quelconques ; les secondes sont des attributs temporels qui font intervenir un instant privilégié, l’instant présent, celui qui existe maintenant. Relations et attributs temporels constituent ainsi le squelette intelligible de tous nos discours sur le temps. Les relations strictement chronologiques, celles d’antériorité, de postériorité et de simultanéité entre événements, sont objectives et indépendantes de nous. Elles ne changent pas à mesure que le temps passe : il demeurera toujours vrai que Newton est né avant Einstein. Tandis que les attributs temporels changent avec le présent qui change, le même événement étant tour à tour futur, présent, passé : de ce qui se passe aujourd’hui, nous dirons demain que cela s’est passé hier, alors que ce qui se passe avant ne pourra jamais s’être passé après. 

Etienne Klein, Les tactiques de Chronos, Flammarion, 2009.

 


 

Corrigé proposé du résumé du texte

 Pour la physique, l'instant présent se réduit à un point sur une ligne, mais pour la conscience, il devient plus épais en  s'enrichissant du passé et du futur.

 Cela montre que la figuration linéaire du temps résulte d'une opération complexe consistant à intégrer des instants successifs qui s'excluent réciproquement dans la réalité. Ainsi, la conscience semble nécessaire à la conception d'une continuité temporelle homogène.

 Toutefois,  l'écoulement du temps est indépendant de notre conscience : ce que nous appelons présent est un instant ordinaire et indifférencié sur la ligne du temps. C'est nous qui lui attribuons cette valeur spéciale car il contient notre présence.

 Il faut donc distinguer les relations temporelles objectives d'antériorité, simultanéité et postériorité des expressions temporelles subjectives de présent passé et futur.

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