Sujet de dissertation :

« La parole est l’ombre de l’action. » En quoi cette affirmation de Démocrite entre-t-elle en résonance avec votre lecture des œuvres au programme sur le thème de la parole?

 Analyse du sujet : Le sujet établit la confrontation entre deux termes, fréquemment opposés : la parole et l’action. La première est définie de façon absolue avec l’auxiliaire « être »  sous la dépendance de la seconde. En effet, l’action, capacité à transformer et à créer des situations nouvelles, présente un caractère tangible, on peur en percevoir physiquement ou concrètement les résultats, tandis que la parole se déployant dans une dimension verbale, ne se concrétise pas nécessairement en actes au-delà de la mise en œuvre du langage. D’où la métaphore de l’ombre qui relie parole et action. Elle se comprend à partir de la caractérisation de l’ombre relativement à son inconsistance, sa subordination à un corps et éventuellement son obscurité. La parole serait donc d’une réalité inférieure et subordonnée à celle de l’action, elle ne ferait que la suivre ou en être une projection inconsistante. L’ombre portée de la parole peut être aussi ce qui masque l’action.

Problématique : La parole ne se définit-elle que par un rapport de dépendance vis-à-vis de l’action?


Dissertation semi-rédigée

Introduction

Le simple fait que, grâce à l’écriture, nous puissions encore être à l’écoute de paroles anciennes donne à penser qu’une continuité persiste dans notre rapport à la parole, et ce malgré les variations et les techniques nouvelles de la communication. Aussi quand Démocrite au Ve siècle avant Jésus-Christ affirme, «  la parole est l’ombre de l’action », nous pouvons encore entendre résonner ce propos qui a presque la valeur d’un adage. La définition donnée par le penseur présocratique, use d’une métaphore pour transposer les rapports d’un corps et de son ombre à ceux de la parole et de l’action. L’ombre, en effet, est sous la dépendance d’un corps, elle le suit et n’est pourvue d’aucune autonomie, insaisissable, elle en est aussi une projection « en négatif ». Obscure ou opaque, elle présente également une part d’indistinction qui peut la rendre trompeuse, quand, par exemple, on prend l’ombre pour la proie. En d’autres termes, et pour expliciter le transfert métaphorique, la parole serait strictement une manifestation extérieure de l’action qui n’aurait par de consistance propre et pourrait en avoir seulement l’apparence. De là, nous pouvons nous demander si la parole n’a effectivement aucune autonomie par rapport à l’action, si elle n’en est toujours qu’un dérivé, qu’un instrument ou qu’un faux-semblant. La subordination ou l’infériorité de la parole par rapport à l’action sera donc d’abord considérée, mais cela conduira à envisager ultérieurement l’hypothèse d’une action de la parole sur l’action elle-même, dans une forme de réciprocité que Démocrite semble avoir d’emblée écartée. Plus encore, la parole ne disposerait-elle pas, finalement, d’une portée d’action qui lui appartiendrait en propre, et par laquelle elle atteindrait son plein rayonnement?

 

Plan de la dissertation :

I. En quoi la parole est-elle subordonnée à l’action?

a) la parole comme auxiliaire de l’action

b) l’ambiguïté de la parole

c) l’action comme démenti à la parole

Transition: quand parole et acte ne s’accordent pas se produit une scission qui met en cause la parole elle-même.

II. D’où : la parole n’agit-elle pas sur l’action?

a) les effets de la parole

b) la mise à distance par la parole comme prise sur l’action

c) la parole et la connaissance

Transition : la parole porte à la conscience ce que nous éprouvons, elle assure par là le passage de la sensation à l’action.

III. N’y a-t-il pas une action propre à la parole?

a) ce qui doit être dit pour être

b) la possibilité de dire ce qui se situe au-delà de l’action.

 

Conclusion :

Finalement, la parole n’est pas subordonnée à l’action, elle n’en est pas non plus l’ombre, elle peut la diriger, la maîtriser ou l’éclairer dans l’accès qu’elle ouvre à la connaissance. Elle peut même constituer une action à part entière, d’ailleurs les œuvres littéraires sont-elles autre chose que cette action ? On pourrait cependant concéder à Démocrite que dans les cas extrêmes, parfois désespérants, où aucune action n’est plus possible, il nous teste encore la parole. Alors, il est vrai, elle se présente comme la trace ultime de ce que peut faire ou peut être un homme.

Extrait de La parole, Ellipses, 2012