Un thème et trois oeuvres

    Les classes préparatoires aux grandes écoles d’ingénieurs, couramment désignées par le sigle «cpge», ou l’abréviation « prépas » scientifiques, ont un programme de français-philosophie qui porte sur l’étude d’un thème ayant une portée littéraire et philosophique. En 2010 par exemple, le thème était « le mal » ; en 2011, « la justice » ; et en 2013 et 2014, « la  parole ». Le principe de la matière est comparatif puisqu’il s’agit d’examiner la mise en œuvre de ce thème dans trois œuvres appartenant à des époques, des cultures et des genres différents. Il s’agit en fait de préparer les étudiants aux différents concours où Ils sont amenés à rédiger, sur le thème étudié,  des dissertations argumentées et illustrées par les œuvres inscrites au programme. Le choix du thème et des œuvres, qui relève de la compétence d’une commission désignée par le ministère français de l’éducation, est souvent bien accueilli par les professeurs et les étudiants, qui se réjouissent de la qualité, de la richesse, et de la pertinence  des œuvres proposées par rapport au thème étudié. Malheureusement, c’est loin d’être le cas  en 2013 où le programme imposé soulève quelques interrogations  relatives au choix des œuvres, à  leur portée et à leur adéquation au thème.

 

Inadéquation du thème et des oeuvres 

     En effet, si tout le monde estime que le thème est très bon du point de vue philosophique et littéraire, les œuvres retenues par contre (à savoir Phèdre de Platon, Les fausses confidences de Marivaux et Romances sans paroles de Verlaine) ne traitent pas la question de la parole humaine dans toute sa complexité puisqu’elles ne soulèvent ni le problème de l’origine de la parole, ni ses relations avec le langage animal, ni la dimension politique, ni le caractère métaphysique et bien d’autres questions que les œuvres n’abordent pas du tout ou bien elles les évoquent de façon très allusive.  D’autre part, si la diversité générique, historique et culturelle est bien respectée dans ce programme, puisqu’il comporte un dialogue philosophique appartenant à la Grèce antique, une pièce de théâtre du XVIIIe siècle et un recueil poétique du XIXe siècle, on ne peut que regretter le manque de consistance de la troisième œuvre qui cantonne la parole dans la sphère privée, voire intime, ce qui limite considérablement les possibilités de confrontation des œuvres autour des différents aspects du thème.

Si on prend comme exemple les programmes des trois dernières années, la troisième œuvre, qui est généralement la plus récente, se caractérisait par sa consistance, sa richesse et sa profondeur sur les plans psychologique, social, économique, philosophique et religieux. C’est le cas par exemple de L’argent de Zola, des Âmes fortes de Giono ou des Raisins de la colère de Steinbeck. Le recueil Romances sans paroles, malgré sa valeur esthétique et son originalité, n’offre malheureusement pas suffisamment de points d’ancrage pour l’étude du thème, en tous cas beaucoup moins qu’on aurait espéré.

Le thème est-il la parole ou l'homosexualité?

    Par ailleurs, le programme de 2013 a surpris plus d’un par l’inadéquation inattendue et incompréhensible du thème et des œuvres. Il semble que les œuvres traitent plus le thème de l’amour que celui de la parole. Un lecteur minutieux qui s’amuserait en effet à relever les occurrences de l’un et l’autre thème, constaterait une large prédominance du lexique amoureux dans les trois œuvres par rapport au champ lexical de la parole. Pour être plus précis, il s’agit dans deux œuvres sur trois de relations homosexuelles entre des hommes relativement âgés d’une part (Socrate, Lysias, Verlaine) et de beaux jeunes garçons, objets de désir et de séduction (Phèdre et Rimbaud). Cette forte présence de l’homosexualité dans les œuvres est en effet intrigante et ne peut que susciter des interrogations d’une autre nature. Les membres vénérables de la commission ont-ils perdu de vue que le programme s’adresse avant tout à des jeunes de 17 à 19 ans, hautement influençables et qui pourraient être affectés par ce type d’amour pour le moins inhabituel ? Ont-ils oublié que le programme est étudié dans d’autres pays où l’homosexualité est encore loin d’être normalisée, ce qui perturbe, voire empoisonne l’atmosphère dans les salles de classe?  Certains membres de la commission ont-ils des préférences sexuelles qu’ils ont cherché à valoriser par le biais du programme des cpge ? Quoi qu’il en soit,  si ce choix relève d’une option idéologique, les membres de la commission auraient pu avoir le courage de choisir directement l’homosexualité comme thème au lieu de la dissimuler sous le masque de la parole. 

    En fin de compte, il paraît que le programme de 2013 est difficile à justifier par des considérations pédagogiques et didactiques, puisque le thème de la parole ne semble pas du tout justifier le choix des œuvres et vice-versa ; sans oublier l’insertion injustifiée du thème de l’homosexualité dans le programme. Signalons pour finir que le choix du thème et des œuvres à étudier dans les classes préparatoires aux grandes écoles est une tâche lourde de conséquences qui doit obéir à des critères objectifs et rationnels qui tiennent compte de la diversité des publics concernés et des principes fondamentaux de la pédagogie et de l’éducation. Le but étant d’instruire et d’éduquer, non de promouvoir  une quelconque idéologie, surtout quand il s’agit d’imposer au public des tendances marginales déguisées en objet d’étude littéraire et philosophique.