Olympe de Gouge : les femmes trahies par la Révolution
Prônant le féminisme près de 200 ans avant qu'il ne devienne un mouvement dominant en Occident, Olympe de Gouge peut nous sembler en avance sur son temps. Pourtant, elle ne l'était pas du tout. Son idée de l'égalité des hommes et des femmes peut être considérée comme un produit des Lumières dans la mesure où elle se conforme aux normes dictées par la raison. Cependant, les préjugés séculaires à l'encontre des femmes étaient si profondément ancrés dans l'esprit de ses contemporains que même les forces progressistes de la Renaissance et des Lumières ne pouvaient rien faire pour le dissiper.
Le peuple de France a cherché la révolution, mais ne voyait pas que toutes les révolutions sociales et politiques étaient vouées à l'échec tant qu'une moitié de l'humanité est estropiée, soumise et asservie sous le joug des préjugés et de la discrimination. En abandonnant la cause de la libération des femmes, alors même qu'elle clamait sous la bannière de la liberté et de l'égalité, la Révolution française n'a pas seulement trahi Olympe de Gouge et d'autres militantes de l'époque, mais elle s'est trahie elle-même.
L'objectif principal de la Révolution française était de rétablir la forme de gouvernement démocratique, développée à l'origine par le peuple d'Athènes et pleinement fonctionnelle vers le Ve siècle avant J.-C. Fondée sur le principe de l'égalité de tous les hommes, la démocratie était un concept totalement révolutionnaire à cette époque de l'histoire de l'humanité. Elle a fait passer la base du gouvernement du privilège à la raison et a marqué une étape décisive dans l'évolution humaine. Pourtant, l'approche athénienne de la vie était assombrie par deux atrocités fondamentales qui ont corrompu et miné son système démocratique : l'avilissement généralisé des femmes et la pratique de l'esclavage. Aussi difficile que cela puisse être pour nous, la société athénienne soi-disant éclairée, qui a été considérée comme le modèle à suivre de la civilisation occidentale à travers les siècles, avait de nombreux aspects bizarres. Le plus critique de ces défauts dans le cadre de la société athénienne était la suppression délibérée et systématique des femmes.
La révolution française, aussi imparfaite et déformée qu'elle ait été, a annoncé le début de l'ère moderne de l'histoire humaine, à bien des égards. Pourtant, une fois encore, il n'y a pas eu d'efforts significatifs pour améliorer la condition des femmes et de les traiter comme les égales des hommes. Quelques femmes, dont Olympe de Gouges, très en vue, ont élevé la voix pour défendre les droits des femmes, mais elles ont été violemment réprimées. La révolution française a échoué à bien des égards, mais son incapacité à reconnaître l'égalité des femmes et des hommes a été l'un de ses échecs les plus cruciaux. Il était si difficile de démolir les barrières qui restreignaient les femmes dans tous les aspects de leur vie, car ces barrières étaient fondées non seulement sur des raisons psychologiques, mais aussi sur une réflexion philosophique.
Dans la Grèce antique, Aristote a donné une expression philosophique systématique des préjugés contre les femmes. Il assimilait les femmes à la "matière" dépourvue de "forme", c'est-à-dire dépourvue d'esprit. À l'époque médiévale, Aristote est devenu l'autorité philosophique suprême, et nombre de ses notions ont été assimilées à la vision du monde du peuple et à la doctrine officielle de l'Église. Saint Thomas d'Aquin a écrit : "Or, il est évident que, selon l'opinion des philosophes, le principe actif de la génération vient du père, tandis que la mère fournit la matière" (Aquin). Cependant, la Renaissance est arrivée, et une nouvelle race d'hommes pensants a commencé à se rebeller contre le dogme de l'Église et l'ignorance de l'âge des ténèbres.
Une grande partie de cette nouvelle pensée était également dirigée contre les traditions philosophiques aristotéliciennes. Il y a eu une grande révolution scientifique aux 16e et 17e siècles, mais il n'y a malheureusement pas eu de révolution sociale pour la compléter, jusqu'à l'arrivée des révolutions américaine et française, qui n'étaient d'ailleurs pas de si grandes révolutions. Par exemple, l'esclavage a continué à se développer et à prospérer aux États-Unis, même en dépit de la déclaration explicite de la Constitution américaine selon laquelle "Tous les hommes naissent égaux".
De même, la révolution française était basée sur la prémisse inspirante que "l'homme est né libre". Cependant, cette prémisse n'impliquait pas que la femme naisse libre, comme on pourrait s'y attendre. Au contraire, elle négligeait complètement la question des femmes. La Révolution française aurait pu être utilisée comme une excellente plate-forme pour lancer la libération des femmes tant attendue, mais aucun grand "philosophe" ne s'en est soucié. La libération des femmes aurait pu être utilisée pour faire avancer la Révolution française avec une force énorme et dans la bonne direction, mais personne n'a réalisé l'immense pouvoir que les femmes représentaient.
Olympe de Gouge : vie, combat et mort d'une féministe engagée
Il y avait une poignée de femmes, comme Charlotte Corday, Madame Roland, Madame Grafigny et Olympe de Gouge, qui ont fait de grands efforts pour mettre les femmes sur un pied d'égalité avec les hommes. Mais ces héroïnes de la Révolution française ont toutes fini par être martyrisées pour leur cause. Les militantes étaient méprisées, la libération de la femme était considérée comme une abomination. C'est la situation que déplore Olympe de Gouges dans la phrase citée au début de cet essai. Dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), elle remet en cause les notions d'inégalité entre hommes et femmes et les coutumes de la domination masculine.
Née dans une famille de la petite bourgeoisie en 1748, Olympe de Gouge s'est mariée en 1765 et est devenue veuve peu après. Elle se retrouve avec un fils avec lequel elle s'installe à Paris. Aspirant à devenir un écrivain, elle écrit des essais et des pièces de théâtre à caractère social. Elle a également écrit sur de nombreuses questions liées au genre, plaidant pour plus de liberté pour les femmes. Elle a parlé de choses telles que le droit des femmes au divorce et le droit d'avoir des relations sexuelles en dehors du mariage. Elle-même a refusé de se remarier, a rejeté la demande en mariage de son amant, un haut fonctionnaire d'une organisation militaire, et a choisi de rester sa maîtresse jusqu'au début de la révolution.
Sa liaison avec Jacques Bietrix de Rozieres lui procure l'indépendance financière nécessaire pour s'engager dans l'écriture et d'autres activités intellectuelles. Elle était très attachée à l'écriture de pièces de théâtre, et la pièce qui l'a rendue célèbre est une pièce anti-esclavagiste intitulée L'Esclavage des Negres, qui a été publiée à l'origine sous le titre de Zamore et Mirza en 1785. Ses autres écrits connexes, tels que Reflexions sur les hommes noirs (1788) et Le Marché des Noirs (1790), font d'elle une militante antiesclavagiste reconnue.
En 1788, juste avant la Révolution, elle publie quelques brochures politiques qui font l'objet d'une large discussion. Elle se prononce pour la transition de la monarchie française vers une monarchie constitutionnelle. Elle était un membre éminent des Girondins et de la Société d'Auteuil. Dans la quasi-totalité de ses écrits, elle exigeait que les femmes soient associées aux débats politiques et sociaux. Elle était profondément convaincue que les femmes sont capables d'assumer toutes les tâches qui sont traditionnellement réservées aux hommes. Olympe de Gouge a défendu avec passion les droits des femmes.
A travers les écrits de Montesquieu et de Rousseau, le concept d'égalité est devenu la priorité absolue de l'agenda politique. Cette nouvelle conception de l'égalité s'est concrétisée dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, rédigée en août 1789 et intégrée à la Constitution française en septembre 1791 (Gerhard 2001). Mais ce document est une imposture dans la mesure où il exclut de manière flagrante la question des femmes.
C'est pour remédier à cette terrible carence qu'Olympe de Gouge a rédigé son manifeste des droits de la femme. Ses écrits sont cependant méprisés et tournés en dérision. Peu de temps après, elle a été assassinée. Des décennies après la Révolution française, les femmes étaient toujours complètement opprimées à tous les niveaux de la société française. Tout le monde sait comment la Révolution française a été dirigée par des hommes diaboliques et maniaques quelques années après sa création. Mais par la répression active du droit des femmes, et pas seulement par une négligence passive, la Révolution est finalement devenue une misérable parodie d'elle-même, et une une moquerie du concept même de la liberté humaine.
En 1793, ses idées révolutionnaires l'ont conduite à la guillotine. Il peut nous sembler étrange aujourd'hui que les personnes qui se sont battues pour la cause de la liberté pendant la Révolution française, étaient motivées par de bas instincts pour supprimer activement toute manifestation de la libération des femmes. Dans sa pièce Prince Philosophe, Olympe de Gouges fait dire à l'un de ses personnages que "Si l'on donnait aux femmes les moyens d'ajouter à leurs charmes à la fois du courage et des connaissances profondes et utiles à l'État, elles pourraient un jour s'emparer de la supériorité et rendre les hommes, à leur tour, faibles et timides" (Proctor 1990).
Si les femmes recevaient une éducation et des opportunités politiques et économiques sur un pied d'égalité avec les hommes, il fallait craindre que le matriarcat ne s'établisse et que le pouvoir des hommes ne soit sapé. Les hommes trompés de la fin du dix-huitième siècle en France n'ont pas réussi à saisir la simple vérité que les hommes et les femmes peuvent coopérer et forger une société dans laquelle la liberté et le bonheur humains peuvent s'épanouir. Les penseurs des Lumières semblent n'être que superficiellement éclairés, après tout, gardant intacts bon nombre des vils préjugés de l'âge des ténèbres. Olympe de Gouge elle-même a été victime de cette oppression à l'égard des femmes.
Elle aurait pu être un meilleur porte-parole des femmes subjuguées de son époque si elle avait reçu une meilleure éducation et si elle avait été en mesure de mieux écrire. Elle aspirait à devenir une auteure à succès, mais en raison de sa faible éducation, ses écrits manquaient souvent de polissage et d'attrait et sa voix ne pouvait donc pas atteindre beaucoup de gens. Mais la passion et le feu qui l'habitaient l'ont poussée à défendre les droits des femmes jusqu'à son dernier souffle, en dépit de tout.
Aujourd'hui, elle est surtout connue pour sa Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne, écrite en réponse à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen en 1791. Elle a été une ardente partisane des droits de l'homme toute sa vie, et s'est impliquée dans diverses questions qui, selon elle, impliquaient des injustices.
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