À quoi servent les entreprises ? A priori la réponse est évidente : à fabriquer des biens et services. Puis à les vendre. Voilà pourquoi existent Nike, Coca Cola, Carrefour ou Apple et des myriades d’entreprises plus petites.

Et pourtant l’entreprise n’a pas existé de tout temps. Au Moyen Âge, on a construit des cathédrales sans entreprises. Les bâtisseurs recrutaient des ouvriers et artisans à la tâche. Même les manufactures du XIXe siècle n’étaient pas des entreprises au sens actuel ; un entrepreneur – capitaine d’industrie – recrutait des salariés comme on recrute, aujourd’hui encore, des ouvriers agricoles pour les récoltes saisonnières.

Définition de l'entreprise

L’entreprise telle qu’on la connaît se définit par le rassemblement de plusieurs acteurs – actionnaires, salariés et dirigeant – autour d’un statut et d’une organisation. Voilà l’entreprise telle qu’on l’entend généralement.

Sous cette forme-là, elle est apparue seulement à la fin du XIXe siècle, lorsqu’elle s’est dotée d’un encadrement, de services spécialisés (bureau d’études, service marketing, etc.), qu’un contrat de travail stable a été établi entre l’employeur et les salariés, enfin qu’une direction a conquis une relative indépendance vis-à-vis des actionnaires. L’entreprise est alors devenue un organisme à part entière ayant acquis une dynamique propre capable de croître et de s’adapter pour persévérer dans son être (M. Drancourt, Leçons d’histoire sur l’entreprise de l’Antiquité à nos jours, 2002).

Cette forme classique de la firme, telle que l’étudient les économistes et sociologues, ne représente pourtant qu’une minorité (en nombre et pourcentage de salariés) au sein de la grande faune des entreprises. Car il existe une grande variété de statuts, de tailles, de type d’activités.

Variété de statut : entreprise individuelle (EURL), société à responsabilité limitée (SARL), Société anonyme (SA), société par action simplifiée (SAS), coopératives (SCOP).

Variété de taille : micro-entreprise, TPE, PME, grande entreprise, groupes. Variété de domaines d’activité : entreprises du bâtiment, industrielles, agricoles, commerciales, banques, entreprises de presse, etc.

Le rôle des entreprises

En 1937 l’américain Ronald Coase, (prix Nobel d’économie en 1991) publie un article fondateur, « La nature de la firme » dans lequel il pose cette question toute simple « Pourquoi y a-t-il des entreprises ? » En effet, si, comme le veut la théorie orthodoxe néo-classique, le marché est la meilleure méthode d’allocation des ressources, pourquoi créer une organisation avec ses règles, sa hiérarchie, ses contrats de travail stables ? Pourquoi ne pas traiter le personnel comme des sous-traitants, en négociant au jour le jour le volume et le prix du travail en fonction des aléas du marché ? Pour R. Coase, la réponse est simple : une telle méthode de gestion de la main-d’œuvre supposerait des transactions permanentes et serait finalement d’un coût élevé. Conclusion : l’entreprise abolit la loi du marché en son sein pour éviter de trop lourds « coûts de transaction ». Cela révèle un problème qui jusque-là avait été ignoré par les économistes : dans une relation marchande, la transaction n’est pas gratuite. Parfois, il vaut mieux stabiliser la relation (quitte à négliger parfois de meilleures opportunités) que de renégocier sans cesse, ce qui est très coûteux à terme.

Mais inversement, si le marché suppose des coûts de transaction, l’organisation avec ses règles, contrats stables, routines et rigidité imposent des « coûts d’organisation » : la fixité des postes, des salaires, des conditions de travail en font partie, entraînant une inertie organisationnelle. C’est pour éviter ces coûts d’organisation que les employeurs font appel à l’intérim, aux contrats à durée limitée ou à la sous-traitance.

Le modèle de R. Coase ne vaut que dans un cas précis où les coûts de transactions sont plus élevés que les coûts d’organisation. L’alternative entre organisation ou marché se pose concrètement aux employeurs qui, face à une tâche à réaliser, sont confrontés au dilemme « faire ou faire faire » (Make or Buy disent les Anglo-Saxons) ? Internaliser ou externaliser les tâches ?

But et forme des entreprises

Selon le modèle standard de l’économie de l’entreprise (modèle néoclassique), le but de l’entreprise est de faire le profit maximum (voilà une idée que partage l’analyse marxiste, ce qui n’est pas courant). C’est à partir de cet objectif universellement partagé que les modèles de gestion sont construits : il s’agit de calculer la meilleure adéquation entre capital et travail.

Mais est-ce toujours le cas ? Pour nombre d’entreprises familiales, le but de l’entreprise est autant de maintenir un patrimoine que de faire un maximum de profit. Il y a aussi des managers qui préfèrent maintenir un bon équilibre entre les profits et les salaires ou faire croître l’entreprise que de verser des dividendes aux actionnaires. Ces différents objectifs ont abouti à des formes historiques et sociales précises.

Les entreprises individuelles ou familiales

Elles restent la forme dominante de l’entreprise au XXIe siècle. Et ce n’est pas simplement le cas pour les petites entreprises. Pour elles, la performance est autant dans la pérennité que dans le profit. (« Nature et performance des entreprises familiales », J. Allouche, in G. Schmidt, Le Management, fondements et renouvellement, 2008).

Le modèle managérial de l’entreprise

Il est né au XXe siècle avec le développement des grandes entreprises et leur complexification. Les actionnaires ont confié la gestion des entreprises à des managers. Mais cette nouvelle caste de manager avait ses propres objectifs : une répartition plus équilibrée entre salaire profit ou les stratégies de croissance à long terme plutôt que le profit immédiat. L’avènement de ce capitalisme managérial a été annoncé par A. Berle et G. Means, dans L’Entreprise moderne et la propriété privée dès 1932, puis developpé par J. Burnam dans L’ère des managers et dans l’ouvrage classique d’A. Chandler, La Main visible des managers (1977).

L'entreprise par l'actionnariat

À partir des années 1990, la révolution de la corporate governance conduit à une reprise en main des commandes de l’entreprise par l’actionnariat (via les sociétés d’investissement : fonds de pensions, hedge funds, etc.) dont l’objectif primordial est « la création de valeur », soit, en termes clairs : dégager le maximum de profits. Cela supposait de reprogrammer les managers pour en fait des représentants zélés de l’actionnariat. Sur le plan pratique, cela s’est traduit par une présence plus importante des actionnaires dans les conseils d’administration, la mise en place d’outil de contrôle des comptes (audit, agences de notation), la distribution de stock options, indexée sur les bénéfices. Sur le plan de la théorie, l’étude des liens de dépendance entre un propriétaire (ici les actionnaires) et son mandataire (le dirigeant) a fait l’objet d’un développement important connu sous le nom de théorie de l’agence. La question posée en l’occurrence étant : comment faire en sorte qu’un mandataire se comporte en représentant loyal et dévoué de l’actionnaire ? (O. Bouga-Olga, Économie de l’entreprise, 2006). La corporate governance a conduit aux méthodes très brutales de gestion. Des clubs d’actionnaires, éloignés de la vie de l’entreprise et des centres de production décidant de restructurer, réduire des coûts, délocaliser, licencier sans tenir compte des autres parties prenantes de l’entreprise : salariés, sous-traitants.

La responsabilité sociale de l’entreprise 

Pour contrer cette gestion brutale de l’entreprise fondée sur la recherche du profit maximum, certains ont imaginé de fixer de nouvelles normes et formes de gouvernance. Sur le plan des normes, l’idée d’une « la responsabilité sociale de l’entreprise » a été avancée (M. Capron et F. Quairel-Lanoizelée, La Responsabilité sociale d’entreprise, 2010). La RSE suppose que l’entreprise n’est pas qu’une machine à faire du profit pour les actionnaires (share-holders), mais doit prendre en compte les autres parties prenantes (salariés, dirigeants, sous-traitants et même clients : les stakeholders). Sur le plan organisationnel, certains préconisent de fixer un statut juridique et un mode de gouvernance de l’entreprise qui la considère comme une entité propre ayant ses objectifs propres et non pas seulement comme une machine à générer sur profit (B. Segrestin et A. Hatchuel, Refonder l’entreprise, 2012).