Evolution de la tragédie
I- La tragédie antique
Dans l’Antiquité, les tragédies étaient liées au culte du dieu Dionysos. A l’origine, un chœur célébrait le dieu en évoluant autour de son autel. Puis la présence d’acteurs permit les dialogues. Le premier à les introduire fut Eschyle (Ve siècle av. J-C); Sophocle, puis Euripide augmentèrent leur importance, diversifiant les sujets, et faisant de l’homme un héros. Les représentations tragiques sont de véritables cérémonies religieuses : le théâtre en demi- cercle, à ciel ouvert, contient jusqu’à 20 000 places ; les acteurs déclament; leur lourd costume, les masques, les chaussures qui les grandissent, leur donnent jeu solennel et saisissant.
Les thèmes sont pris dans les légendes de la Grèce. Ils montrent l’Homme aux prises avec des forces qui le dépassent: la nature, les dieux, les autres hommes ou l’hérédité. Des héros comme Oedipe ou Oreste incarnent les problèmes de la responsabilité de l’Homme face à la fatalité, de sa révolte ou de sa soumission à la volonté des dieux. Antigone de Sophocle montre le combat pour la justice.
II - La tragédie classique
1 - L’imitation des Anciens : par admiration pour l’Antiquité, le XVIIe siècle s’inspire de la tragédie antique et emprunte la plupart de ses sujets tragiques à l’histoire grecque ou romaine (Corneille, Racine). Il renoue également avec les grands thèmes tragiques de la révolte (Horace), de l’opposition à des forces adverses (Andromaque), de la fatalité (Phèdre). Il conserve aussi, de l’Antiquité, le caractère cérémonial: une action simple et noble, une langue poétique et majestueuse.
2 - Les traits caractéristiques : genre noble par excellence, la tragédie est strictement codifiée par les Doctes à la suite de la querelle du Cid. Elle doit répondre à plusieurs impératifs: être écrite en vers, en langue soutenue comporter cinq actes (l’Acte I est celui de l’exposition, les trois suivants font progresser l’action dramatique jusqu’à la catastrophe, le dernier contient le dénouement). Elle doit se terminer par un dénouement malheureux, la mort. Les personnages doivent être illustres ou d’un statut social élevé (héros légendaires, rois, princes); l’action doit se situer à une époque passée (la mythologie, l’Antiquité, l’histoire biblique). Elle obéit strictement à la règle des trois unités:
• l’unité de temps : l’action est concentrée sur une durée de 24 heures au plus
• l’unité de lieu : l’intrigue se déroule d’un bout à l’autre dans le même lieu (un palais, une antichambre);
• l’unité d’action : l’action est composée d’une intrigue unique.
Ces unités donnent à la tragédie classique une grande intensité dramatique. Mais celle intensité passe par les ressources du dialogue essentiellement: en effet, la violence ne doit pas être montrée sur le théâtre. Les scènes de combats ou de meurtres font l’objet de récits.
3. Les fonctions de la tragédie : selon le philosophe grec Aristote (IVe siècle avant J-C.) la tragédie doit inspirer la terreur et la pitié. Son but est la catharsis, c’est-à-dire la purgation des passions. Le spectacle des malheurs du héros conduit le spectateur, par la terreur et la pitié, à se libérer de ses propres passions. C’est là une fonction initiatique et purificatrice. A ces sentiments de terreur et de pitié, Corneille ajoute l’admiration. Le héros cornélien, en effet, a une fonction de modèle. Avec Racine, la tragédie exprime une vision plus pessimiste de la condition humaine, où le personnage est victime de lui-même, de ses propres pulsions, autant que du destin. La différence avec Corneille se révèle particulièrement au cours du conflit tragique. Ce moment de crise est l’occasion pour le héros cornélien d’affronter le destin dans un f ace à face héroïque. Le personnage racinien au contraire assiste à la défaite de sa volonté. La fonction primordiale de la tragédie devient alors l’émotion.
III - Evolution historique
Au XVIIIe siècle, Voltaire, par admiration pour Racine, écrit encore de nombreuses tragédies. Au XIXe siècle, les Romantiques rejettent les règles classiques comme contraires à la vraisemblance. Victor Hugo les ridiculise dans la célèbre préface de Cromwell. La tragédie n’existe plus au XXe siècle, mais le tragique demeure et le théâtre reste son mode d’expression privilégié. Les thèmes développés rattachent ce tragique moderne aux tragédies antiques : la liberté, la révolte, la solitude humaine. Certains écrivains s’inspirent directement des mythes antiques et donnent une interprétation moderne des tragédies grecques.